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Biré : pourquoi donc ne l’a-t-il pas dit ? Pourquoi a-t-il insinué le contraire ? Puisque la nature, pour une fois, était complice, est-ce que la vraie « simplicité, » pour le critique, ne consistait pas à dire tout simplement la simple vérité ?

« Ernest Renan, a écrit M. Faguet, est le plus grand esprit qui ait paru en France depuis Chateaubriand. » C’est dire le cas qu’il fait de ce dernier. Tel n’est pas précisément l’avis de M. Jules Lemaître : « Senancour est bien autrement intelligent (au sens strict du mot) que Chateaubriand. Il a donné du mal de René des définitions autrement précises et profondes. Je regrette de trouver en lui un anticatholicisme si marqué (nullement intolérant d’ailleurs et qui ne voudrait enlever à personne l’aide ou la consolation d’une foi religieuse) : mais c’est un esprit vigoureux et vraiment libre. Il est plein de pensées… Senancour, je le dis nettement, me semble un roi de l’intelligence… » J’ai cru rêver en entendant, puis en lisant et relisant cette phrase. Senancour, ce raté, d’ailleurs curieux et intéressant, proclamé « un roi de l’intelligence ! » Mais qu’est-ce que M. Jules Lemaître dira donc d’un Pascal, d’un Gœthe, d’un Renan ? Notez que, de son propre aveu, Senancour ne comprend rien au catholicisme, ce qui prouve, — entre autres choses, — que son intelligence a des limites, et ce qui est sans doute fâcheux pour « un roi de l’intelligence. » Je crois, pour ma part, y ayant regardé de fort près et durant de longues années, que Chateaubriand est une intelligence autrement « royale » que Senancour, et je trouve au total fort peu de choses qu’il n’ait vraiment pas comprises. M. Jules Lemaître serait-il donc un idéologue ? Croit-il donc que la capacité de former des idées abstraites, qui n’est qu’une des formes, et non pas la plus haute, ni lapins profonde, de la faculté de comprendre, soit le tout de l’intelligence ? Il y aurait beaucoup à philosopher là-dessus, en psychologue, et même en métaphysicien… Mais je m’aperçois, un peu tard, que M. Lemaître a dû prévoir l’objection : s’il déclare Senancour plus intelligent que Chateaubriand, c’est « au sens strict du mot » qu’il l’entend. Précisons encore : disons : au sens le plus étroit, — et n’en parlons plus.


Allons maintenant au fond des choses, et tachons, de ces dix conférences ou causeries, de dégager l’ « impression » totale