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donné un héritier à la couronne, du long abandon où la laissa Gustave après le mariage et pendant plusieurs années, elle serait belle si des allures majestueuses, l’orgueil satisfait, le contentement d’occuper la place qui lui est due et la joie d’être mère suffisaient à créer la beauté. Mais, les dédommagemens qui lui ont été accordés n’ont pas réchauffé sa froideur native et déconcertante. Elle est restée glaciale et hautaine ; toujours repliée sur elle-même, depuis surtout qu’elle a perdu son second fils mort au berceau, elle n’attire pas. Seuls le grand écuyer Munk, artisan de sa réconciliation avec le roi, et sa favorite, la baronne Mandeström, semblent avoir trouvé grâce auprès d’elle. C’est à peine si les gais propos de ses belles-sœurs, la princesse Sophie-Albertine, sœur de Gustave III, grosse fille dépourvue de charme, vouée volontairement au célibat, abbesse honoraire de Quildembourg en Allemagne, et la sémillante Hedwige-Elisabeth-Charlotte, duchesse de Sudermanie, née Holstein-Gottorp, parviennent à la dérider. Elle les regarde aller, venir, papillonner, comme presque indifférente à leurs ébats, sans même remarquer ce qui monte de mélancolie dans les yeux d’Hedwige-Elisabeth-Charlotte lorsqu’ils se posent sur son mari le duc de Sudermanie, frère du Roi, dont elle n’ignore pas les infidélités et qui ne prend même pas la peine de les lui cacher.

Soudain, l’attention de la duchesse est détournée de ce qui l’avait péniblement captivée, par l’apparition d’un charmant trio féminin qui s’est rapproché d’elle : Mlle de la Motte, la comtesse Sophie Piper et la cousine de celle-ci, la comtesse Augusta de Lowenhielm. Ces deux dernières appartiennent à l’illustre famille Fersen, l’une est la fille du comte de Fersen, grand maréchal de la Cour ; le père de l’autre est le feld-maréchal du même nom, dont le fils Axel de Fersen réside en France où le retient l’intérêt que lui témoigne la reine Marie-Antoinette.

Augusta de Lowenhielm et Sophie Piper doivent à leurs aventures de cœur, non moins qu’à leur naissance, qu’à leur grâce et qu’à leur esprit, de ne pouvoir passer inaperçues. Augusta a été jadis, peu après son mariage, la maîtresse du duc de Sudermanie qui était encore célibataire. Un enfant est même né de leurs relations, dont le comte, de Lowenhielm, mort depuis, s’est laissé attribuer la paternité. La liaison a été rompue sur l’initiative de la maîtresse, quand la raison d’Etat et la volonté du Roi ont obligé l’amant à se marier. Plus tard, elle s’est renouée