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Sophie-Albertine, les surveille de loin, et, sans en avoir l’air, les enveloppe d’un regard passionné comme si elle cherchait, en les regardant, à surprendre ce qu’ils se disent.

Brusquement apparaît le Roi. Il tient par la main son fils le prince royal, un bel enfant à la physionomie grave et hautaine, presque sévère, dont les yeux reflètent déjà des pensées au-dessus de son âge, comme s’il prévoyait les douloureux événemens qui assombriront sa jeunesse et dramatiseront son règne. Quoique Gustave III n’ait pas encore dépassé la quarantaine, sa démarche est lourde et la déformation visible de son corps, son visage échauffé, son front aplati d’un côté, sa dentition défectueuse accuseraient d’une manière déplaisante sa précoce maturité si son regard vif, ouvert, caressant ne donnait à sa physionomie une expression de bienveillance, fondue dans l’air vraiment royal qui le caractérise. Souvent négligé dans sa tenue, il porte, ce jour-là, un habit couleur gris de lin, à paremens de soie, discrètement brodé d’or, sur lequel brille la plaque de l’Ordre des Séraphins. Derrière lui se pressent ses chambellans et ses écuyers, le comte de Gyldenstolpe, gouverneur du petit prince, Rosenstein son précepteur. Mais, l’enfant a vu sa mère ; il court à elle, tandis que le Roi, après avoir salué au passage d’un geste familier Armfeldt et sa fiancée et s’être incliné devant la Reine, les princesses et les dames invitées, commence à parcourir les rangs des hommes groupés de tous côtés, attentifs et respectueux.

Dans la suite du règne de Gustave III, le château de Drottningholm ne présenta plus qu’en de rares circonstances la physionomie que nous avons essayé de lui rendre à l’aide des documens contemporains. La guerre engagée en Finlande contre la Russie, celle que le Danemark déclara à la Suède, leurs péripéties qui remplirent les années 1787 et 1788 et dont l’influence se fit sentir jusqu’à la paix de Véréla, signée le 10 octobre 1791, les orages parlementaires qui caractérisent l’Assemblée des Etats Suédois de 1789, l’arrestation des membres de la noblesse qui faisaient échec aux propositions royales, la rancœur qu’ils eu gardaient et qui se traduisait en bouderies, autant d’événemens qui ne laissaient guère de place pour une vie de plaisirs. Drottningholm était tombé dans la solitude et la tristesse : l’on n’y revit plus l’animation joyeuse dont nous venons de réveiller les échos.

Mais en 1785, ce théâtre de la plupart des intrigues