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donné souvent le spectacle à sa Cour. Dîners d’apparat au château, représentations suivies de bal, processions aux flambeaux figuraient sur le programme des soirées. Durant les journées, on verrait se dérouler dans une somptueuse mise en scène un épisode de la Jérusalem délivrée. La princesse Sophie-Albertine, sa demoiselle d’honneur Madeleine de Rudenschold, Mme de la Motte, la comtesse de Lowenhielm, sa sœur la comtesse de Hopken y avaient un rôle et de même le Roi et son frère cadet, le duc de Sudermanie. Le Roi devait représenter le chef de l’armée musulmane et son frère figurer Renaud, le chevalier légendaire de l’épopée du Tasse.

Les vastes pelouses de l’esplanade de Drottningholm se prêtaient merveilleusement à ce pompeux spectacle. On y avait dressé des estrades et des tentes autour d’un décor monumental : c’est là que la représentation se déroula devant toute la Cour en présence des nouveaux époux placés au premier rang. Les récits contemporains mentionnent quelques accidens. Les chevaux d’Armide, — princesse Sophie-Albertine, — s’emportèrent et faillirent la jeter dans un fossé. Le duc de Sudermanie se foula le genou en joutant ; mais son frère, le duc d’Ostrogothie, prit sa place et la fête continua. Nous en trouvons un écho dans l’autobiographie de Mlle de Rudenschold, dont la reproduction fera connaître, dès maintenant, l’héroïne de ce récit.

« Pour moi, je tenais le rôle de la fée Mélusine, protectrice des chrétiens ; le duc de Sudermanie était mon chevalier sous les traits de Renaud, que j’avais arraché à l’ensorcellement d’Armide. Je montais un joli cheval blanc, vêtue comme une nymphe, le cou et les bras nus, une ceinture éclatante de pierreries et un voile blanc qui pendait sur mon cheval. Suivie de Renaud, j’avançai au galop et le présentai aux arbitres. Mon apparition fit une vive impression sur tous les spectateurs : tout le monde battit des mains et on m’assura que, cette fois, j’avais été plus jolie que jamais. »

Cette courte citation révèle chez la narratrice une rare coquetterie féminine. Toutefois ce n’est pas uniquement par coquetterie qu’elle constate son succès ; c’est aussi pour marquer qu’elle en était flattée parce qu’elle l’avait obtenu en présence du seul homme à qui, parmi tant d’admirateurs de sa beauté, elle eût le souci de plaire. Et celui-là, c’était le nouveau marié, le baron d’Armfeldt dont elle venait, à sa grande joie, de surprendre