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Je dirais presque qu’il exagère. Trop est trop. La perfection n’est pas de ce monde. Mais c’est toujours le défaut du « personnage sympathique » qu’il paraisse un peu convenu, arrangé et soufflé en baudruche.

Un trait l’achève de peindre, sur lequel M. Anatole France revient à maintes reprises, et avec une insistance qu’il est impossible de ne pas déplorer. L’ancien traitant qui fut jadis célèbre par ses galanteries est devenu un vieux galantin. Les glaces de l’âge le rendent inhabile aux plus douces des jouissances ; mais son esprit ne cesse de lui en suggérer les images regrettées. C’est une obsession. Ou qu’il soit, le voisinage d’un être du sexe allume dans ses yeux un regard attristé et égrillard. Dans la file qui stationne à la porte d’une boulangerie, il « jette les yeux sur la nuque de sa jolie voisine et respire avec volupté la peau moite de cette petite souillon. » Dans la charrette qui le conduit au supplice, placé à côté d’Athénaïs, il « contemple en connaisseur la gorge blanche de la jeune femme et regrette la lumière du jour. » C’est le vieux monsieur qui regrette les petites femmes. Ce trait de sénilité est un des plus déplaisans qui se puissent imaginer. Admettons qu’il y eût lieu de l’indiquer : M. Anatole France y a insisté, on ne sait pourquoi, non sans quelque lourdeur. Et le malheur est qu’il ne détonne pas dans l’ensemble du récit. On a constaté, paraît-il, que les époques les plus sombres furent aussi celles du plaisir effréné et de la volupté débridée. M. Anatole France s’est souvenu de cette particularité des mœurs : il a voulu la signaler et la souligner. Il en a mis partout. On sent qu’il s’est appliqué. Comme une fable ne saurait se terminer sans une morale, ni une ballade sans un envoi, tout chapitre ici se termine par une coucherie : c’est la règle. Chaque fois qu’Évariste vient d’envoyer à la mort de nouvelles victimes, Élodie trouve à ses caresses plus de saveur et se pâme plus voluptueusement dans ses bras. Il se peut : tous les goûts sont dans la nature. Toutefois ces scènes, dans leur impudeur voulue et leur dépravation étudiée, sont peu engageantes. Rien n’est plus froid que cet étalage de sensualité.

Mais il nous tarde d’arriver au personnage central du roman, qui en est aussi le caractère le plus étudié, le plus fouillé, et le plus solidement établi. « Évariste, ou le jacobin, » ressemble à beaucoup de jacobins dont l’histoire nous a conservé les traits. Comme David, il mêle l’art et la politique et subordonne celui-là à celle-ci. Il a commencé par traiter des scènes galantes dans la manière de Boucher et de Fragonard ; puis répudiant tout ce qui porte l’empreinte de la