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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/679

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du gouvernement actuel, car l’issue de tels troubles est incalculable. Résignons-nous et supportons ce gouvernement comme on supporte une année de mauvaise récolte. » Il est donc certain que le « plan » n’eut pas même un commencement d’exécution, ce qui n’empêcha pas le Régent et Reuterholm, quand ils eurent connaissance de ces vagues pourparlers, de les utiliser et d’y puiser les élémens d’une accusation de complot contre la sûreté de l’Etat.

Avant d’en arriver à ces tragiques incidens, il convient de parcourir les lettres que Madeleine écrivit à Armfeldt pendant l’année 1793, qui vit se clore le roman de leurs amours. Elles révèlent dans toute son ardeur la passion qui consuma cette malheureuse femme, la souffrance de son cœur et les poignantes épreuves que lui firent subir les imprudences et les infidélités de son amant. Elles permettent aussi de suivre Armfeldt à travers les incidens de son séjour en Autriche et en Italie.

14 février. — « Te voilà donc à la fin arrivé à Vienne. Heureuse nouvelle. Mais ta Malla n’est pas encore justifiée aux yeux de son amant ; cela est bien cruel pour une âme sensible et innocente du tort qu’on lui a imputé. Cependant, mon basta pojken (cher aimé) est doux, il est tendre dans la pensée de notre amour ; cela me console un peu en me prouvant que ton amour, ce bien précieux de mon cœur, tu me le conserves en dépit des calomnies qu’on t’a débitées sur mon compte.

« Dieu veuille que ta santé ne se ressente pas, mon bel ange, de ta leste équipée. Ce trait de jeunesse sied bien à l’homme bien portant ; mais tu es bien loin de l’être et je te conjure, âme de ma vie, de te bien reposer à Vienne, y recueillir des forces pour le reste du voyage, et surtout pour le régime déréglé que tu seras obligé de suivre en Italie…

« J’ai reçu par le dernier courrier une longue lettre de Mme l’Abbesse[1]qui ne paraît pas extrêmement contente de son séjour à Rome. Elle y était dans le moment d’une émeute de la populace contre les Français, en faveur du Pape. Sa voiture même a été insultée, on y a jeté des pierres, les laquais ont été mis aux arrêts et ses femmes de chambre, qui se promenaient dans les rues, ont été assaillies par la populace qui les prenait pour des Françaises, parce qu’elles ne criaient pas :

  1. La princesse Sophie-Albertine, abbesse de Quildenbourg.