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que c’est toi qui as mal saisi le sens de mon chiffre, car j’ai parfaitement compris le tien et ton intention. Hélas ! que ne l’ai-je pu exécuter de même ?

« J’ai fait ta commission à Stackelberg[1], il est demeuré stupéfait, n’ayant pas pu deviner cela de mille ans. C’est que cela n’était pas à portée de sa science ; ainsi il ne pouvait le prévoir. Comme tu dis fort bien, mon bel ange, le physique chez cet homme est le point essentiel. S’il peut faire en toute tranquillité un bon repas, il sacrifierait tous les intérêts du monde. »

1er mars. — « Ta pauvre Malla est aujourd’hui d’une mélancolie extrême, et que je devrais avoir la discrétion de ne pas te communiquer. Mais le bonheur d’épancher mon âme dans le sein du plus tendre des amis m’entraîne et je ne puis renoncer au premier de mes plaisirs, celui de te répéter que je t’idolâtre, que tu es l’unique objet de mes pensées et qu’un seul mot tracé de ta main me vaudrait aujourd’hui la tranquillité. Je ne sais pas pourquoi, depuis deux ou trois jours, je suis d’une inquiétude extrême et que mon imagination sur ton sujet est si assombrie. Cependant, je crains bien de ne pas recevoir de tes nouvelles aujourd’hui en calculant que tu auras déjà entamé ton voyage pour l’Italie. Dieu ! combien cet éloignement va retarder notre correspondance. Il faudra trois semaines pour écrire et autant pour recevoir une réponse. Hélas ! mon ami, aurions-nous pu imaginer, il y a aujourd’hui un an, que notre sort serait aussi cruellement changé !…

« Je dois te rendre compte, mon ange, d’une explication que j’ai eue hier avec Gyldenstolpe au sujet du Roi et du changement que je redoute dans ses sentimens. Il me dit l’avoir remarqué de même, et suppose que cela provient de ce qu’il observe que le Duc, ainsi que tout son parti, lui font assidûment la cour et cherchent à s’insinuer auprès de lui, ce qui flatte son orgueil. Bien plus que cela, ils changent ses principes. Ayant longtemps supporté ses humeurs, le Duc lui en a enfin demandé l’explication lorsque le Roi a nié d’être changé. J’ai appris que Bonde[2]est fort avant dans ses bonnes grâces. Stackelberg m’a dit que si le Roi change, on n’a plus aucune mesure à attendre

  1. Armfeldt l’avait chargée de prévenir l’ambassadeur qu’il savait que son gouvernement allait le rappeler.
  2. Chambellan du duc de Sudermanie et son favori.