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quand même les conclusions de la Société de bactériologie, nous verrons que le renvoi des tirailleurs filariés et l’examen sévère auquel on soumet désormais les recrues de l’Afrique Occidentale sont des mesures qui ne supportent pas la critique du bon sens.

On veut ignorer que le Sénégal et l’Algérie font partie du même continent et que les relations entre le Soudan et le Moghreb n’ont jamais cessé. La quantité de nègres implantés sur le littoral méditerranéen, de l’Egypte au Maroc, se chiffre par plus d’un million d’individus. Il suffit, pour s’en convaincre, de se promener dans les rues d’Oran, de voir quels sont les cultivateurs des oasis sahariennes ou, plus simplement, de regarder une compagnie de tirailleurs algériens ; de tout temps, les caravanes ont conduit les esclaves des bords du Niger aux jardins de Blidah. Malgré les précautions prises contre la traite, cette infiltration ne se ralentit guère. En pleine gare de Saïda, nos Sénégalais voyaient accourir une de leurs compatriotes portant des tatouages qui lui permettaient de faire connaître sa tribu. Cette femme pleurait de joie en retrouvant l’occasion de parler sa langue maternelle. Tout le long du voyage d’Oran à Beni-Ounif, les tirailleurs apercevaient aux stations des nègres qui dansaient, en leur honneur, les pas échevelés du Soudan. À Colomb-Béchar, trois esclaves noirs, échappés des oasis marocaines, demandaient à contracter un engagement au bataillon ; originaires du pays Mossi qu’ils avaient quitté dans leur enfance, à la suite d’un rezzou de Touareg, il leur tardait de revivre parmi leurs frères.

Il ne faut pas oublier que, pendant de longues années, Tombouctou subit la domination marocaine et que la fameuse garde noire du Sultan se recrutait en pays sourhaï. Soumis par leur condition aux travaux les plus pénibles, les nègres se sont néanmoins parfaitement acclimatés ; il est certain qu’ils ont apporté depuis longtemps la filariose, et le service médical ferait, à coup sûr, de stupéfiantes découvertes, s’il soumettait à l’analyse le sang des ksouriens et des captifs du Maroc. Il ne faut pas compter que cette émigration noire prendra fin. Depuis la conquête des oasis sahariennes, le commerce des esclaves a bifurqué ; les caravanes de « bois d’ébène » ont naturellement évité nos postes et se sont dirigées vers Marrakech et Tripoli ; les noirs ont passé en Algérie, soit par la frontière tunisienne,