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GIOVANNI PASCOLI.

a lui désespérément. Il avait dû calmer ses pleurs en la trompant, rentrer, sortir par une autre porte, faire attendre l’attelage non loin de la maison. H partit. Le soir, comme il regagnait sa demeure, il fut assassiné. Le cheval revint seul à l’écurie ; et quant au cadavre, on le retrouva le lendemain, sanglant au milieu de la route.

C’est de cette façon que, dans l’enfance paisible de Pasoli, orientée vers la bonté, vers la beauté, entra la douleur, hôtesse inattendue. Il avait alors douze ans. Du jour où l’affreuse vision passa devant ses yeux, il fut marqué pour la tristesse, par privilège et par choix. Si c’était une épreuve qui devait le grandir, en affinant sa sensibilité, en suscitant en lui ce don des larmes qui est refusé aux natures vulgaires, et qui confère aux natures délicates comme une plus large humanité, rien de cette épreuve redoutable n’allait lui être épargné. Car la fatalité ne se tint pas pour satisfaite après ce premier coup. Elle se mit à le frapper avec cette rage qu’on lui voit apporter quelquefois dans ses persécutions, avec cette obstination que les anciens attribuaient au courroux des dieux. Mourut d’abord la sœur aînée, Marguerite, à seize ans ; mourut la mère, après qu’elle eut pleuré pendant un peu plus d’une année ; moururent deux fils encore. De la florissante famille restaient quatre orphelins : frêles plantes sur des ruines.

Il fallait vivre. Giovanni, ayant montré de remarquables dispositions pour les bonnes lettres, on lui fit continuer ses classes à Urbino, à Rimini, à Florence. Puis il concourut pour une bourse d’études à l’Université de Bologne. L’adolescent, timide et sauvage, tout plein d’une admiration craintive, comparut devant un maître bienveillant et rude : Carducci reçut Pasoli.

Ce fut un étrange étudiant. On saisit, à l’observer pendant ces années de formation et de trouble, les élémens contradictoires d’une personnalité inquiète ; on aperçoit un caractère en travail, et comme en fermentation ; c’est une âme qui fait effort pour arriver à la pleine possession de ses ressources et à la connaissance de sa propre volonté. On préfère, à tout prendre, ces tressaillemens et ces heurts aux scolarités trop parfaites d’où sortent rarement des originalités puissantes. À la recherche d’expédiens qui lui permettront d’équilibrer un budget incertain, déménageant à de fréquentes reprises, comme il arrive à ceux qui ne peuvent payer leur terme, l’étudiant Pascoli vit dans une