soleil. Devenu habitant des villes, il resta campagnard : volontiers solitaire, fuyant les compagnies bavardes, délestant le bruit et la réclame ; Apre au travail, comme le laboureur qui veut que son sillon soit tracé avant la fin du jour ; lourd d’allures, frugal à sa table, simple dans sa mise, insoucieux des curiosités ingénieuses dont les citadins aiment à s’entourer : content de meubles primitifs et de murs sans ornemens. Ceux qui l’ont connu savent qu’il faisait lui-même son pain, tous les samedis, à la mode des Romagnes : pain sans levain, qu’il pétrissait en forme de croix, et qu’il mettait cuire sur l’Aire. Il s’était choisi un refuge en Toscane, à Castelvecchio di Barga, près du Serchio que Shelley a chanté avant lui ; il y courait dès qu’il était libre ; il lui arriva même, pris de nostalgie, de quitter les tiédeurs de la Sicile pour revoir sa maison des champs en plein hiver.
Ce qu’il faut noter encore, en cherchant les traits primitifs qui constituent la physionomie d’une âme, c’est la bonté, dont l’expression devint plus tard inséparable de son nom même : le bon Pasoli. Les gens des Romagnes ne passent pas pour donner dans la sensiblerie ; ils ont des passions vigoureuses, qui éclatent. Mais ils sont francs, et leur rudesse comporte quelque chose de solide et de sûr. Né d’un père très droit, d’une mère très douce et très tendre, Pascoli apportait au monde une bonté impulsive. Il était de ceux qui n’ignorent pas le mal, et ne résistent pas au plaisir vengeur de le dénoncer quelquefois. Il était de ceux aussi qui, ayant pesé le mal et le bien, trouvent que ce dernier l’emporte, parce qu’ils mettent leur propre idéalisme dans la balance. Il croyait, suivant le proverbe de son pays, qu’un scorpion se cache sous chaque pierre, mais que chaque cyprès abrite un nid. Ainsi, sous des dehors communs, se cachait une âme belle et pure ; elle transparaissait dans le sourire qui venait par momens illuminer ses yeux. De cet optimisme inné, Pasoli allait avoir besoin plus que personne, dans les circonstances tragiques que voici.
Le 10 août 1867, le chef de famille partit pour un marché voisin, où l’appelaient les devoirs de sa charge. Il n’avait pas pris de domestique avec lui, et conduisait seul sa voiture. La plus jeune de ses filles avait voulu le retenir ; elle n’entendait point que son père s’en allât, malgré les poupées qu’il lui promettait pour le retour ; de ses petites mains malhabiles, elle s’attachait