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pas indifférent de rappeler qu’Etienne II et Bégon furent tous deux abbés de Conques en même temps qu’évêques de Clermont. En Auvergne aussi le cartulaire de Sauxillanges signale en 1095 la destruction d’une « majesté de saint Pierre, » conservée sur une des terres qui dépendaient de cette abbaye[1]. Enfin c’est évidemment à Aurillac qu’était la « majesté de saint Géraud » couverte d’or et de pierreries, dont parle Bernard d’Angers.

Que cet usage ait été particulier aux régions méridionales et qu’il ait paru aux pèlerins du Nord une nouveauté presque choquante, c’est ce que démontre clairement le récit du clerc de Chartres. Nous avons des preuves multiples que l’idée d’enfermer des reliques dans une statue était entièrement étrangère aux pays septentrionaux. En 794, le Concile des évêques francs assemblés par Charlemagne à Francfort rédigea une violente diatribe contre la doctrine des images proclamée au Concile de Nicée en 787. A la différence des Grecs, les Occidentaux se refusaient à attribuer aux icônes une valeur surnaturelle. Ils trouvaient même « insolent » d’établir un parallèle entre les images des saints et leurs reliques. Les reliques, d’après les Livres Carolins, sont vénérables parce qu’elles ont appartenu de quelque manière aux corps des saints qui doivent ressusciter glorieusement un jour : les images au contraire, qui n’ont jamais vécu et ne ressusciteront pas, qui sont exposées à l’incendie et à toutes les injures du temps, ne sauraient être l’objet d’un culte qui n’appartient qu’à Dieu[2].

L’innovation méridionale consista justement à unir de la manière la plus étroite le culte des reliques1 à celui des images. Il est même permis de se demander si cette idée ne vint pas du parallèle établi ainsi dans les spéculations théologiques entre les deux cultes, et dont les Livres Carolins nous ont conservé un écho. Il est possible que cette pratique, malgré son apparence populaire, soit le résultat des méditations compliquées d’un clerc. Le culte des reliques, admis universellement, justifiait suffisamment la vénération réclamée pour ces statues et s’opposait victorieusement au reproche d’idolâtrie.

C’est ce qu’il est facile de voir par le récit tout à fait savoureux que Bernard nous fait de son pèlerinage. Originaire d’Angers, mais élevé dans les écoles de Chartres sous la

  1. Cartulaire de Sauxillanges, édit. Doniol, n° 485.
  2. Patrologie latine, 98, 1165.