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aux chimistes du laboratoire municipal qui crurent tout d’abord à la présence, soit de sels de manganèse, soit de microbes chromogènes. Evaporé, puis desséché, enfin incinéré, le lait mystérieux abandonnait un fort dépôt de cendres riches en fer. Ce détail fut un trait de lumière ; on le rapprocha du double fait que la cuisson avait lieu dans des vases en fer et qu’elle aurait dû détruire les microbes. Pour confirmer l’hypothèse, on ajouta simplement au lait cru quelques gouttes d’un sel à base de fer comme le perchlorure médicinal, et l’on aperçut la teinte rouge. Or tous les chimistes savent que cette nuance en pareil cas implique la présence des sulfocyanures. Ce principe abonde dans la graine de moutarde, et les vaches avaient été nourries, non de tourteaux de moutarde, mais de tourteaux de lin falsifiés par des résidus de moutarde au détriment de leur santé et de la qualité du lait. On ne se borna pas à rédiger une curieuse note pour les Mémoires de l’Académie des Sciences, mais on changea la nourriture des bêtes et la coloration disparut.

Le voleur, fournisseur de ce lait étrange, aurait pu objecter qu’en l’espèce il était le volé, si l’agent verbalisateur chargé, dès le début, de pratiquer les prélèvemens officiels, n’avait fait une première constatation intéressante : les bidons étiquetés pour 110 litres ne contenaient qu’un hectolitre et, outre cela, le lait au sulfocyanure renfermait 25 p. 100 d’eau. Un mouillage honnête, comme l’on voit ! et le nourrisseur picard enfonçait de beaucoup en rouerie le modeste laitier d’Avignon. Aussi les juges, avec raison, se sont-ils montrés sévères : trois mille francs d’amende, affichage du jugement avec publicité et enfin rupture du contrat de fourniture.

Physiquement, le lait est à la fois une solution et une émulsion : une solution de caséine, matière azotée, et de galactose ou sucre de lait ; une émulsion, c’est-à-dire que le liquide contient un nombre infini de globules gras, flottant intérieurement, qui peuvent bien se diviser, mais non s’incorporer à fond dans l’ensemble.

Heureusement pour la fabrication du beurre, heureusement aussi pour les fraudeurs, malheureusement pour les consommateurs, lorsque le lait est livré au repos dans un endroit frais, ces globules s’agglomèrent et, triomphant par leur réunion de la résistance du liquide, remontent à la surface, à raison de