Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/939

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant un travail s’opérait qui peu à peu et chaque jour davantage tendait vers l’ordre, l’harmonie, la noblesse. Avant toutes choses il était l’effet de cette admirable renaissance religieuse qui depuis saint François de Sales jusqu’à Fénelon allait faire passer dans tout le siècle un courant d’une puissance irrésistible, soulever les âmes, les mettre en présence des grandes questions qui sont l’éternel tourment de la pensée humaine, vivifier les genres profanes et nous doter d’une littérature sacrée à laquelle on n’en connaît pas de supérieure. Voilà pour le sérieux de la pensée, mais voici pour la perfection de la forme. Les ouvriers les plus modestes n’y sont pas les moins utiles. Les grammairiens s’y emploient comme les critiques. On sait volontiers gré aux premiers d’avoir épuré la langue : on ne pardonne pas aux seconds d’avoir inventé ces règles contre lesquelles protestait Corneille, et auxquelles Boileau devait donner la consécration de son vers proverbe. Et il est vrai que le XVIIe siècle a eu dans le pouvoir des règles une foi absolue et superstitieuse ; il a cru qu’en appliquant les procédés des maîtres on peut, à l’infini, refaire des chefs-d’œuvre : Chapelain et le Père Lemoyne sont là pour prouver ce que valait la théorie. Il n’en reste pas moins qu’en rappelant aux plus grands écrivains l’existence de lois dont le génie lui-même ne saurait s’affranchir, il les a défendus contre eux-mêmes et empêchés de verser du côté où peut-être ils penchaient. Surtout, on voyait enfin se former et s’organiser une société éprise de bon goût et de bonnes lettres, et notre littérature achevait de se caractériser en liant, une fois pour toutes, ses destinées à celles de la société polie.

Le résultat de ce travail a été de nous donner ces cinquante années que Voltaire avait raison de comparer aux plus brillantes périodes qui illustrent l’histoire de l’esprit humain. L’idéal classique s’y réalise : entendez par là que l’idée même de notre littérature, l’idée créatrice, au sens platonicien du mot, y arrive à la pleine expression d’elle-même- Car d’abord cette littérature est nationale : elle n’est plus italienne et espagnole, elle n’est pas encore allemande et anglaise. Chez Pascal et chez Racine, chez Bossuet et chez La Fontaine, chez Boileau et chez La Bruyère, il n’y a rien que de français. Et c’est à quoi leur sert l’imitation des anciens, telle qu’ils l’ont comprise et pratiquée : elle leur est un moyen de défense contre les influences étrangères modernes. La langue y arrive à son point de maturité, et les genres à leur point de perfection.

Faut-il maintenant énumérer les traits communs et spéciaux à cette époque unique ? Le XVIIe siècle est psychologue, ou, comme on