Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étonné d’apprendre que Bismarck, dans ses intrigues avec Napoléon III, faisait bon marché des États d’autrui. Morier semblait ici trop novice en subtilités et en roueries diplomatiques. Quand il sut que Gortchakov avait envoyé aux puissances une circulaire pour les informer que la Russie ne se considérait plus comme liée par le traité de Paris au sujet de la Mer-Noire, il manifesta sa tristesse et son indignation contre le cabinet anglais qui perdait son temps en grimaces et n’osait élever la voix. Il se plaignait hautement, et ses plaintes étaient répétées au chancelier qui ne les lui pardonnait pas.

Une autre circonstance allait exciter la méfiance et la colère de Bismarck contre lui. La princesse royale Victoria et la reine Augusta, d’accord avec la grande-duchesse de Bade, prévoyant la capitulation prochaine de Paris, avaient demandé à Morier son concours gracieux pour faire réussir un projet d’approvisionnement rapide de la capitale. Les vivres nécessaires devaient être concentrés dans les ports d’Angleterre et à Ostende, à proximité de la France. Bismarck en fut averti et témoigna publiquement son indignation contre une générosité aussi surprenante. Cette indignation s’accentua, quand il s’aperçut que le retard du bombardement de Paris était dû aux mêmes influences féminines. Moritz Busch nous a conservé à ce sujet des propos du chancelier, aussi cruels que significatifs.

Morier ne cessait de déplorer l’inaction politique de son pays. « Le rôle de l’Angleterre, écrivait-il le 5 janvier 1871, a été nul. Elle aurait pu appliquer le vieux remède du cordon sanitaire, si elle avait conservé son ancienne position en Europe. Elle ne l’a malheureusement pas conservée. Elle est fort embarrassée par les derniers événemens. » La manière brutale dont l’Allemagne conduisait les hostilités lui aliénait peu à peu les sympathies qu’elle avait eues dès l’origine en Angleterre. Morier lui-même était outré des actes violens et des excès commis par les troupes allemandes, tout en conservant une opinion favorable aux résultats politiques de la guerre. On s’étonnait autour de lui de la prolongation des hostilités et on ne comprenait pas comment le chancelier n’y avait pas encore mis fin. « Bismarck, écrivait Morier, est Bismarck et non pas Daniel. Il est donc tout naturel qu’il fasse durer la guerre jusqu’à ce que la France épuisée demande la paix. » Et se livrant alors à une comparaison bizarre : « Les vrais coupables, disait-il, sont