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as couru éperdu dans les enceintes vides du Dar El Maghzen où l’on vous voyait, toi et tes frères les vizirs, aussi épeurés que les vanneaux innombrables qui viennent à la fin du jour tournoyer dans le désert des parvis. Ils battent des ailes et tracent de grands cercles affolés, comme si, les rayons froids du soir leur annonçant la fin du monde, ils voulaient échapper à la terreur des ténèbres mortelles qui descendent.

Pour toi aussi, c’était la fin du monde. Les grands coups des hordes révoltées battaient sur les neuf portes, sur les vieux murs que seule la main sacrée des siècles avait touchés. Alors, tandis que tes bras dans leurs voiles blancs suppliaient, appelant au secours, un bruit a retenti, un bruit régulier de colonnes en marche. C’est comme une respiration de la terre qui grandit : tu trembles d’espoir, tu montes sur les terrasses d’où tu ne contemplais jamais que le vol pacifique des cigognes et les Paradis du soir. Tu vois maintenant une nuée grise qui vient vers toi. Les pas qui font battre la terre font battre aussi ton cœur. Tu entends des voix inconnues, des fanfares claires. Tes sentinelles aux portes ont appris de « roumis » au dolman bleu le cri d’alarme. A Bab Segma, à Bab Ftou, à Bab-Djdid, leurs gorges rauques ont crié : « Qui vive ! »

Et une voix répond, une voix que ne couvrent ni les cris des hordes fuyantes, ni le vent des forêts, ni l’éternel roulement des eaux qui font la ceinture miraculeuse de la cité sainte : une voix pacifique et victorieuse. Ses timbres clairs sonnent comme une trompette d’archange sur les vieux murs où des siècles de soleil ont laissé des rayons dorés.

Tes sentinelles ont crié : « Qui vive ? » Et la voix a répondu : « France ! » Tes neuf portes se sont ouvertes.

O vizir, boukra est arrivé.


Claude Boringe.