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dins où l’eau épand sous les ombres sa fraîcheur. Alors il est comme devant l’être qu’on aime, et devant qui l’on ne saurait mentir. Son visage pâle, impassible, dit enfin la vérité, tandis que les rheïtas battent plus vite, que le vieux rêve monotone divague et s’exalte dans cette incantation de gloire et de douleur où renaît l’orgueil de domination et la passion des guerres. L’âme barbare et voluptueuse se repait du rêve effrené qui s’apaise dans la douceur du ciel, la blancheur des lys, l’arôme de leurs cœurs ouverts, le bruissement des eaux aux pieds des orangers. Le visage pâle dit la vérité comme un visage pâle aux lèvres scellées sur lequel on lit l’amour.

« Assez, » dit le vizir.

D’un seul geste de la main il suspend le vacarme heureux des guitaristes et des batteurs de tambourins qui subissent la contagion spasmodique. Les instrumens criaient sous les battemens dérhytmés de leurs doigts tremblans.

Et c’est le silence de nouveau. Toute la vision de gloires éteintes passe dans le cerveau du vizir, comme les fumées montent des cassolettes et s’évanouissent. Avec le dernier grincement des rheïtas s’enfuit l’ombre des splendeurs mortes : le vizir songe, il se reprend, son regard oblique, ses paupières clignotantes ressaisissent la réalité des choses… Il revoit ces « roumis » tenaces auxquels il a échappé un jour et qui le reprendront demain. Il leur a dit boukra. Le jour s’apaise, le soleil penche :

Et quand boukra s’est annoncé, qu’as-tu vu, ô vizir, qu’as-tu entendu ? la plainte et la révolte de ton peuple : le cri de « ceux qui ne sont pas morts dans leur jour, » le lugubre chant de misère qui monte dans la fumée des gourbis. Tu as vu le cercle fatal des tribus hostiles. Elles sont venues dresser leurs tentes et faire une seconde enceinte autour des vieux murs à créneaux. Elles ont battu comme un ras de marée les neuf portes de la cité sainte, et tu as tremblé aux cris de guerre des menaçans chefs de tribus, les chefs aux pommettes saillantes, aux longs yeux cruels, aux nez recourbés comme ceux des oiseaux de proie. Ils ont des boucles noires pareilles à des cheveux de femme qui donnent à leur barbarie une sorte de douceur astucieuse.

Alors tu n’as pas dit boukra. Tu as appelé au secours. Tu