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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/274

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ponsable ? Mais si l’on jugeait ses actes par leur résultat, on n’oserait plus faire le moindre geste ! Heureux celui qui dessine le présent d’après une claire vision de l’avenir ! Qui peut se vanter de tout prévoir ? Nous n’avons qu’un guide : la ligne droite. Il faut marcher la tête haute avec le ferme désir de tout améliorer. C’est ainsi que nous conduisons notre vie, et puis, la vie, à son tour, à sa guise, nous façonne : tantôt elle nous sourit pour l’avoir aidée, tantôt elle ricane de nos erreurs… Il y a deux réalités : celle qu’on voit, celle qu’on sent. Je vois la douleur persistante d’Étienne et la courageuse résignation de Marthe, et cependant ma conscience ne me reproche aucune légèreté : je ne me sens pas coupable. Pouvais-je rester indifférent devant l’extrême fatigue de Jérôme, devant la sotte conduite de Maxime et l’insouciance de tous les siens ? Non. Était-il naturel et sage de les convier tous à la campagne, de recommander mon frère au baron Malard ? Oui. Mon pouvoir, hélas ! s’arrêta là. J’avais tiré tous ces malheureux jusqu’au faite du coteau où je pensais qu’ils auraient la révélation nécessaire. J’ai desserré les mains… Et puis, je n’ai plus entendu que le mauvais rire de ma chimère. »

La chanson de nourrice s’était tue. Gabriel ne chercha pas à se rendre témoin de la scène qui se préparait. Il fit un détour et regagna Filaine où l’attendait à quatre heures son fils René pour la leçon de latin.

La rencontre de Marthe et d’Étienne n’était pas concertée ; le hasard, ou la Providence, avait guidé leurs pas. Ils s’étaient vus, salués quelquefois, jamais ils ne s’étaient abordés depuis la scène du kiosque. Mais chacun d’eux connaissait la vie de l’autre. Cette longue année les avait l’un et l’autre armés contre eux-mêmes. Ils savaient mieux ce qu’ils voulaient, où ils allaient. Leur courte poignée de main fut très franche, indulgente au passé, résignée à l’avenir.

— Bonjour, monsieur Étienne.

— Bonjour, madame… Bonjour, Marthe.

— Il fait si bon cet après-midi que je me suis laissée aller à rouler jusqu’ici ma petite Paulette…

Étienne se pencha au-dessus de la voiture :

— Comme elle est jolie ! Tiens, elle est blonde.

— Oui, je voudrais bien qu’elle le restât…

— Mais elle a vos yeux… Bonjour, mademoiselle Paule…