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doctrine vient de Dieu ; que dit-on, même, sa doctrine ? c’est la pure parole du Christ. On le lit, on l’imprime, on le commente, on le discute ; on s’inquiète de son sort et on se passionne pour son triomphe. À Bâle, à Zurich, à Strasbourg, à Paris, en Espagne, en Italie, à Rome même, dans toutes les forteresses de la vieille théologie, dans les cénacles de la culture nouvelle, il est un sujet de contradiction. Qu’on juge de sa force aux espérances qu’il éveille, comme aux colères qu’il déchaîne !… Une révolution religieuse commence, qui, bientôt sociale et politique, va soulever l’Allemagne et déchirer l’Europe, partout où les esprits, enhardis par le succès, enfiévrés par la violence, vont monter à l’assaut du vieil édifice pour reconstruire à sa place, et sur leur plan, l’Église du fondateur.

Qu’une telle doctrine de pessimisme ait pu, au ive siècle, dans un monde finissant, consoler et raffermir les âmes, cela se conçoit. On reste confondu qu’elle ait réussi à se répandre dans une société jeune, ardente, passionnée d’agir et de savoir, et où, rarement, la foi dans la vie, dans l’effort, comme dans la valeur de l’homme, a trouvé tant d’adorateurs.

Le succès ? Luther le doit d’abord à lui-même, à cette puissance extraordinaire de son être qui lui donne la maîtrise des âmes et l’audience des foules. On aime à l’entrevoir, non sous les traits un peu épais, déjà fatigués, du portrait célèbre de Cranach, mais encore jeune et sous le froc, dans cette petite gravure que la cellule de la Wartburg a conservée. Ce corps en avant, prêt à foncer sur l’ennemi, ces mains osseuses qui étreignent la Bible, cette figure émaciée, aux arêtes dures, au regard brillant, presque brûlant de fièvre, aux lèvres fortes, tendues, gonflées, comme pour sonner aux foules la diane de la foi nouvelle, tout en lui est passion, mouvement, énergie inquiète, volonté indomptable. Sa personnalité, voilà son originalité propre. On a pu analyser les élémens divers et souvent hétérogènes de sa doctrine, retrouver ceux qu’il a pris à saint Paul ou à saint Augustin, à Occam ou à Huss, à Carlstadt ou à Érasme. Les faisant siens, il les recrée : matériaux qu’il forge à la flamme de sa passion, au souffle de son verbe fulgurant « comme un éclair. » Le génie mesuré et souple d’un Melanchthon était nécessaire au réformateur pour filtrer ses idées et condenser sa théologie. Seul, il a eu la vision claire et prompte des formules qui rallient et du geste qui entraîne ; nul n’eût dé-