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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/335

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HENRI POINCARÉ


SON ŒUVRE SCIENTIFIQUE — SA PHILOSOPHIE



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Quand fut connue la mort soudaine de Henri Poincaré, une grande tristesse a passé sur tous ceux qui, dans le monde, ont le culte de l’idéal et de la science. Dans toutes les classes de la société on sentit qu’une grande et pure lumière venait de s’éteindre au firmament de la pensée ; mais cette émotion ne fut nulle part aussi douloureuse, elle ne sera nulle part aussi durable que dans les arsenaux silencieux où se forgent lentement des armes contre l’Inconnu, dans le laboratoire du physicien, sous la coupole obscure de l’astronome, dans le froid cabinet que l’analyste meuble magnifiquement de ses seules pensées.

C’est que Henri Poincaré n’était pas seulement le Maître incontesté de la Philosophie naturelle, le phare intellectuel dont les rayons pénétrans savaient illuminer tous les cantons de la science ; il n’avait pas seulement les qualités qu’on admire, il avait aussi celles qui font aimer ; et c’est pourquoi il a eu plus qu’aucun autre penseur depuis un siècle « cette influence personnelle que savent seuls exercer ceux dont le cœur ne le cède pas à l’esprit[1]. »

Et puis, quand la mort nous enlève un maître dont la tâche est terminée, c’est seulement l’homme que nous pleurons ; dans son œuvre accomplie il nous a laissé le meilleur de lui-même. Mais quand c’est un savant encore jeune, encore plein d’acti-

  1. Toutes les phrases qui, dans cette étude, sont indiquées entre guillemets sans autre indication sont de Henri Poincaré lui-même.