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Son âme est avant tout celle d’un artiste et d’un poètes.

Ces vues si profondes et si vraies vont un peu à l’encontre des idées classiques sur le type du « savant, » respectable, certes, mais un peu caricatural, avec son cerveau mécanique, son œil que les lunettes traditionnelles rendent aveugle à toute beauté et son cœur où la nature a déposé, au lieu de sensibilité, une table de logarithmes à sept décimales.

Pourtant, en nous dévoilant dans l’homme de science digne de ce nom un sensitif et un esthète, Poincaré a cédé une fois de plus à sa modestie naturelle : l’infirmité de notre esprit nous oblige à hiérarchiser les mérites, et dans notre société moderne où règne le « culte de l’intelligence, » on a eu, on a peut-être encore, une tendance à exalter les vertus de la volonté, de la personnalité, aux dépens de celles qui viennent du cœur. Nous tenons pour supérieurs aux autres les attributs de la personne consciente, et c’est pourquoi notre justice a un si profond dédain pour les irresponsables qu’elle ne les juge même pas dignes d’être punis. En nous montrant que l’œuvre pourtant si rationnelle de la science est due pour une large part à des facultés inconscientes et involontaires et pour une autre aux facultés sensibles, Poincaré aura sans doute fait baisser sa propre gloire et celle un peu de tous les savans dans l’estime de quelques gens. J’imagine qu’il s’en sera facilement consolé.

Mais surtout cette belle étude auto-psychologique nous a expliqué cette chose d’abord surprenante que, ne travaillant que quatre heures, ou plutôt ne faisant que quatre heures de travail volontaire chaque jour, Poincaré ait pu fournir une production scientifique qui est peut-être la contribution la plus considérable qu’un mathématicien ait jamais apportée à la science. Échappant à sa volonté, nuit et jour, sans arrêt, la machine cérébrale marchait quand même. Peut-être sans cela ne fût-il point mort aussi jeune ! La flamme intérieure qui, sans arrêt, sans une éclipse, brilla d’un si intense éclat, a brûlé trop tôt la lampe qu’elle habitait.


III. — POINCARÉ ASTRONOME


En astronomie, l’œuvre de Poincaré est gigantesque. Cette science ne pouvait manquer de l’attirer, d’abord parce que, de tous les objets du monde extérieur, elle offrait à son esprit géné-