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Parcourons donc, interrogeons ces ruines éloquentes : qu’elles nous disent leur passé et nous racontent le nôtre. Les « âges » du monastère sont les phases mêmes qu’a traversées la conscience du pays. Ces forêts du Valois, où se trouve enchâssé Châalis, nourrissent en effet la plus profonde pensée française : c’est le berceau de la monarchie ; c’était le Fontainebleau des rois de la troisième race. L’un d’eux, et le premier qui ait quelque figure, fonda un jour Châalis : l’abbaye naît, pour ainsi dire, en même temps que la dynastie. Les princes qui suivirent lui conservèrent leur faveur : depuis le bon saint Louis, qui y faisait des séjours et lui-même, pieds nus, y porta des reliques, jusqu’au pauvre fol Charles VI, qui dans ces futaies rencontra le prodige ambigu, l’inquiétante merveille du cerf au collier d’or. Tous se plaisaient dans ces pays éminemment nationalistes. Les évêques de Senlis toujours furent pour le Roi, même contre le Pape. Treize d’entre eux, dont ce fameux Guérin, qui rangea les troupes à Bouvines, étaient enterrés à Châalis. Liée par tant de liens aux destins de la couronne, on comprend que l’abbaye en reflète un peu l’histoire. Elle en porte la fleur dans ses armes, et l’on ne sait plus, dans cette prière d’un poète de la maison, s’il est question des lys de France ou des lys de Notre-Dame :


Dame qui estes comparée
Par bon droit à la fleur de lys,
Nous vous prions, Vierge honorée.
Gardez votre lieu de Châalis.


Les origines de l’abbaye nous transportent dans un monde pieux, violent et ingénu. Le 2 mars 1127, le comte de Flandre, Charles le Bon, était assassiné à Bruges, en pleine église. Il faisait l’aumône à un pauvre : un coup d’épée lui abattit le bras. Il roula au pied de l’autel, percé de dix ou douze blessures. Le roi de France, son beau-frère, fit ce qu’on faisait alors en pareille circonstance : il consacra une abbaye, sous le patronage de la Vierge, au repos de l’âme du défunt. A mi-chemin de Ver et de Sentis, où il courait la bête rousse, existait un prieuré placé sous l’abbé de Vézelay ; le Roi obtint de l’abbé la concession de cet ermitage, et y fit venir douze moines de l’ordre de Cîteaux, l’ordre par excellence de la dévotion à Notre-Dame. Un vieux tableau, que Gaignières a vu encore dans la chapelle, développait ces scènes de meurtre et de piété ; et la légende mettait dans la bouche du Roi ces petits vers candides :