Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maison de Paris. O merveille ! Visite de la pensée maîtresse de sa route ! On l’a jetée en l’air, cette pensée ; elle a pris son chemin, non le long d’un fil, mais comme elle a voulu, libre à travers les espaces, et, comme elle passait, les antennes du bateau l’ont saisie au vol, et on me l’amène, vivante. Je vois, dans les mains de l’employé, un paquet d’enveloppes grises, pareilles. J’étudie ce travailleur d’un nouveau métier. Il est Anglais, long, mélancolique, de visage creusé, de regard planant. Écouteur d’océan ! Il a si bien l’habitude d’écouter, là-haut, près de la passerelle, coiffé du casque et toute l’attention tournée en dedans, qu’il a l’air d’un contemplatif. Je lui demande :

— Vous avez des navires en vue ?

— En vue, non, mais dans le voisinage : à moins de cent milles, dans le Nord-Ouest, un pêcheur qui se rend sur les bancs. Nous causons.

Il « avait, » au delà de l’horizon désert, dans le champ d’action de son appareil, un petit vapeur terreneuvas, et, invisibles l’un pour l’autre, les deux bateaux s’étaient dit leur nom, et ils causaient.

Quelques heures plus tard, je rencontre ce même chef télégraphiste auquel j’avais remis le texte d’une réponse. Avec sa gravité et sa déférence coutumières, il s’approche. Je comprends qu’il a une communication d’ordre professionnel à me faire. Nous nous retirons à l’écart, et nous échangeons ces phrases :

— Monsieur, j’ai préféré, à cause de la distance, ne pas expédier à terre votre radiotélégramme.

— Ah ! tant pis !

— Mais je l’ai confié à un bateau qui est derrière nous.

— Et qui le transmettra ?

— Qui l’a déjà transmis.

— Comment le savez-vous ?

— Monsieur, j’ai entendu le bateau qui relançait vos mots.

Mercredi 24 avril. — Je suis réveillé par la sirène, mais non celle des anciens qui chantait. La nôtre meugle. Nous sommes dans la brume. Il fait chaud et blanc. Je cherche et ne trouve plus la douceur de respirer, la bouche ouverte au vent du matin. Car le vent, dans ces fourrures mouillées, perd sa force et son goût. Je fais tout le tour du navire, par le pont couvert. Quelques passagères, étendues sur leurs fauteuils de toile, enve-