Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/553

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Idée, c’est se hausser vers l’éternel. Mûrir le goût, découvrir les causes, dégager la loi et s’y conformer, n’est-ce pas une religion ?

Peut-être est-ce par là qui ; la civilisation française obvie à cette irréligiosité qui lui fait comme une entrave de doute et de scepticisme : doute et scepticisme qui ne seraient, ainsi, que des méthodes pour la recherche de la vérité, La France croit, puisqu’elle se donne et puisqu’elle souffre pour l’Idée. Un peuple où l’élan de la charité, le goût du beau, la soif du sacrifice excitent continuellement la vie privée et la vie publique n’est pas un peuple impie. Ses polémiques, ses luttes, ses âpres dissensions, ont, le plus souvent, à leur origine, un acte et une profession de foi et d’abnégation.

C’est dans ce sens, assurément, que M. Barrett Wendell a dit, après Nietzsche, « que le peuple français est instinctivement et profondément religieux. » M. Faguet s’étonne de trouver une telle remarque sous la plume de l’auteur de La France d’aujourd’hui. Pour lui, « le fond de la race française, depuis le moyen âge jusqu’à nos jours, est naturellement sceptique et, sinon hostile à la religion, du moins imperméable à un profond sentiment religieux. »

Peut-être l’éminent critique accorde-t-il trop au sens strict des mots. La race française a donné, au cours de son histoire, des exemples remarquables d’esprit religieux. Le pays de saint Louis et de saint Vincent de Paul a fait, à la religion, large mesure ; les grands ordres monastiques et, en particulier, les missions catholiques prélèvent, depuis des siècles, sur ses enfans, un tribut ininterrompu de dévouemens et de sacrifices. Même dans l’espèce de désorientation des âmes où vit notre temps, il ne serait pas impossible de reconnaître quelques-uns des caractères les plus frappans de l’esprit religieux. Nos grandes émotions sont des émotions de foi.

S’il est une race qui tende au général et à l’universel, c’est la race française. Le reproche lui en a été fait assez souvent pour qu’elle en réclame l’honneur. N’est-ce pas la grande critique adressée par Taine à la Révolution ? Le classicisme, le rationalisme, le dogmatisme de la race se sont exagérés jusqu’à cet esprit d’abstraction qui inspira la secte jacobine : c’est vrai ; mais l’excès même du fanatisme ne reste-t-il pas dans le développement logique du tempérament français ?