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des Flandres et de la Wallonie doit-elle sa vigueur d’expansion si ce n’est à l’existence du trafic brugeois ? Les artistes affluèrent dans cette ville de commerce et de finance qui est devenue la cité des peintres mystiques. La mer favorisait l’exil et la renommée des retables. Des pirates parfois imposaient aux œuvres des destinations inattendues ; et la légende célébrait le capitaine qui apportait à l’étranger une peinture des Flandres ou supposée telle...

Aucun des chefs de l’école brugeoise, — Jean van Eyck, Memlinc, Gérard David, Jean Prévost, Lancelot Blondeel, Pierre Pourbus, — n’est né à Bruges. Et pourtant, admirer leurs œuvres, c’est dévoiler l’âme de la ville. Monumens et sites sont l’extérieur du retable urbain ; pour déchiffrer le visage intérieur de la cité, il faut ouvrir les volets du polyptyque et pénétrer dans les sanctuaires brugeois. Refaisons ici un pèlerinage qui depuis longtemps nous est cher plus que tout autre. Bien certain sommes-nous de faire regretter les mérites psychologiques d’un Vitet, la maîtrise d’un Fromentin ; mais nous arrivons un demi-siècle plus tard et peut-être sera-t-il utile de résumer les données récentes en un bref cicerone qui mesurera à nouveau la hauteur de ces phares immenses : Jean van Eyck, Memlinc, évoquera les maîtres élevés dans leur rayonnement et réveillera même un instant les ombres de la décadence.


Après son étonnante épopée démocratique et la lutte qu’elle soutint seule contre le roi de France, Bruges connut la grande prospérité matérielle et jusqu’en 1379, — alors commencent les funestes querelles avec les Gantois, — l’essor économique de la cité ne subit point d’arrêt[1]. Bruges devient le grand centre hanséatique, le siège du Deutscher Kaufmann et des grandes banques italiennes, la secrete camere der goeden coopliede, la chambre secrète des bons marchands. Toutefois le luxe cosmopolite, l’épanouissement communal (la Scepenen-huus, maison des Échevins, fut commencée en 1377) ne modifient pas la condition misérable du bas peuple et le problème social se pose avec une extrême violence ; on trouve des solutions dans le sang, on cherche des consolations dans la rêverie mystique. Les hérésies des

  1. Cf. pour l’histoire de Bruges à cette époque H. Pirenne, Histoire de Belgique, vol, II, p. 191 et suiv.