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mand of the forteress of Carillon. Le long de l’ancien chemin couvert, tranchée aujourd’hui, nous montons vers l’intérieur des terres. Devant nous, à 500 mètres, de hauts glacis couronnent la colline, et cachent, jusqu’à la toiture, une construction qui devait servir de logement aux officiers. J’aperçois deux drapeaux claquant à la pointe de deux perches immenses, et plus bas, comme une corbeille de fleurs violettes, — mouvantes, car le vent est vif, — où ils auraient été plantés. Mais personne ne m’explique encore ce que nous allons voir. Et M. Pell, qui marche près de moi, se baissant, cueille la feuille laineuse d’une plante sauvage et me dit : « Gardez-la, en souvenir. Ici même, voilà quelques années, nous avons voulu faire une tranchée. Aux premiers coups de pioche, les ouvriers ont découvert des corps couchés, revêtus d’uniformes galonnés. L’ordre a été donné aussitôt de reniveler et de n’y plus toucher. » L’émotion nous gagne. Je continue de gravir la colline. Il faut tourner un peu pour trouver l’entrée de la forteresse de Carillon. Une douzaine de canons, en dehors, sont encore braqués sur le lac et sur la petite montagne voisine, « le mont de France, » d’où tirait l’artillerie anglaise. J’entre dans l’enceinte de la forteresse. Elle est en atours de fête. Elle attendait la France. Ah ! la voici qui est venue, la France. Et elle voit, devant la façade du vieux logement de Montcalm, dix étendards de soie que le vent déplie et qui retombent, pesans, sur la hampe, carrés violets bordés de blanc, panneaux bleus barrés de rouge, panneaux multicolores, tous les étendards des régimens de France qui furent représentés à la bataille de Carillon. Les couleurs victorieuses revivent dans la lumière. Et, bien au-dessus, dominant les talus et les toits, deux grands drapeaux protègent les autres, les commandent et les expliquent : le drapeau étoile de la jeune Amérique, et le drapeau de l’ancienne France, tout blanc, fleurdelisé. Mes yeux se sont emplis de larmes, et je crois bien que deux larmes ont coulé. Je suis sûr qu’elles disaient : « Vive cette Amérique-là, qui a le cœur profond ! » Elles disaient autre chose encore, et je me sentais vivre dans la France d’autrefois, unanime.

La maison du fort est devenue un musée. Des épées, des fusils, des balles, des lettres, des clés, des bêches qui se sont battues, elles aussi, en élevant des retranchemens, des gravures de plusieurs époques sont là, pendus aux murailles ou serrés dans des vitrines, jusqu’à une vieille montre que le journal de