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— jusque dans le monde physique, qu’elle dépasse pour créer. non seulement des êtres de plus en plus libres et des formes de plus en plus belles, mais l’art, la civilisation, la morale, la science et la philosophie. Philosopher ne consiste pas, par conséquent, suivant M. Boutroux, à spéculer à vide, mais, au contraire, à déchiffrer l’esprit dans tous ses messages et, finalement, en vue de la continuer, dans l’œuvre même des philosophes. Joignant l’exemple au précepte, M. Boutroux ne se borne pas à s’enquérir de tout ; il se transforme en historien de la philosophie en vue d’en nourrir sa pensée personnelle, mais, aussi, de prendre sur le fait celle d’autrui. Il gagne à cette méthode, conforme à son caractère accueillant, de pouvoir réconcilier, dans une vaste synthèse, les multiples manifestations de l’activité humaine, qui, pour la philosophie de la contingence, dérivent toutes de l’esprit, à la fois un dans sa nature et divers dans ses procédés.

Outre le mérite que présente cette philosophie, — je devrais presque dire cette manière de philosopher, — de réintroduire, avec la liberté, la variété et la vie dans notre conception du monde, qu’une implacable nécessité en chassait, elle offre l’avantage, en les conciliant, de remettre chaque discipline à sa place. Tout en restant profondément respectueuse du travail scientifique qu’elle juge inattaquable, la théorie de la contingence met au-dessus la philosophie, la morale et la religion, cependant qu’elle les y rattache par la démonstration d’une commune généalogie. Mais ce n’est pas tout : en même temps qu’elle accordait avec la science les différens témoignages de l’esprit, elle a rendu l’inappréciable service d’accuser l’impuissance radicale de cette dernière à les remplacer, ainsi qu’un « scientisme » intempérant s’en vante. Sans rien renier de ce que l’investigation du savant présente de légitime dans son principe et d’important dans ses résultats, M. Boutroux eut ainsi le rare courage, en un temps où tout ce qui avait une apparence extra-scientifique était déprécié, de revendiquer les droits de la religion contre les critiques qu’une science trop présomptueuse croyait pouvoir diriger contre elle. Il l’a, plus encore, exaltée, à titre de vie intérieure, — la plus intense, selon lui, qu’il soit donné à l’homme de vivre, — et sous sa forme, la plus haute, de communication possible avec Dieu. Il a finalement, comme William James aux États-Unis, réhabilité le mysticisme, alors que les Homais de la médecine n’avaient point assez de sarcasmes à lui décocher. Au fait, toutes les créatures