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n’apparaissent-elles pas au mystique — d’un point de vue pareil à celui où la philosophie de la contingence est située — en marche vers l’absolue perfection à laquelle elles doivent d’exister dans la mesure même où elles y participent ?

On se rend compte, d’après cela, de l’influence qu’a pu exercer M. Boutroux sur la philosophie contemporaine. Elle est considérable. Par sa critique de la valeur de la science, il a donné l’essor à toute une philosophie scientifique à laquelle des savans aussi grands que MM. Henri Poincaré, Duhem et Le Roy, et des philosophes aussi perspicaces que M. Milhaud se sont consacrés. Après lui et plus que lui, ils ont insisté sur ce que les sciences, et les plus exactes de toutes, je veux dire les mathématiques, renferment de conventionnel et, à peu de chose près, d’arbitraire ; cependant que, par sa défense de la philosophie, M. Boutroux engageait tout un groupe de chercheurs dans la découverte des choses de l’âme envisagées en elles-mêmes et pour elles-mêmes. En réagissant contre le matérialisme, qui tient la pensée pour une phosphorescence du cerveau, il imprima, ainsi, aux études esthétiques et morales une direction nettement idéaliste, dont le besoin se faisait impérieusement sentir devant les empiétemens d’une sociologie soucieuse de les assimiler à une technique. D’autre part, M. Boutroux a rénové, en la transportant dans le domaine de la vie spirituelle, la philosophie religieuse, que représentent si brillamment, de nos jours, MM. Maurice Blondel, Laberthonnière et Édouard Le Roy. Enfin, par toutes ces initiatives ensemble, mais, surtout, par l’importance qu’il a reconnue à l’activité psychique, à la spontanéité créatrice et à la liberté, il a préparé les voies, entrevues par MM, Ravaisson et Lachelier, au plus grand métaphysicien de notre temps : j’ai nommé M. Henri Bergson.

De la Contingence des lois de la Nature, on peut donc dire qu’est sortie, a grandi et s’est épanouie, non seulement la philosophie personnelle à M. Boutroux, mais toute une philosophie dont le spiritualisme, plus cohérent, plus savant et plus profond que celui qui régna en France pendant la première moitié du XIXe siècle, a déjà porté des fruits abondans, gages eux-mêmes des récoltes futures.

Paul Gaultier.