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tant vers l’intérieur. Les colons de la première ligne ont bâti leurs maisons à la limite extrême de leur domaine, c’est-à-dire exactement à un kilomètre du Saint-Laurent. Mais les concessionnaires de la seconde ligne ont pu bâtir, de même, la ferme et les dépendances au commencement de leur concession, de l’autre côté du chemin. On cherchait à se rassembler, à se porter secours en cas d’incursion des sauvages, ou d’accident, ou de grand travail. De telle sorte que les campagnes sont sillonnées de rues parallèles, où les maisons, il est vrai, sont bâties à de longs intervalles, et que l’on vous dira, si vous demandez l’adresse d’un cultivateur : « Il habite dans le deuxième rang, ou dans le quatrième. »

Je crois que Joseph Nicole habite dans le deuxième. Des automobiles nous attendaient à la gare. Ce Montmagny est le chef-lieu judiciaire de trois comtés, gros bourg ou petite ville, dont les maisons de bois sont bien peintes et qui a ses jardins, ses trottoirs et ses clubs politiques. Je remarque le goût des gens du pays pour la brave « potée » tant aimée de nos pères, et qui a encore bien des fidèles. Ce géranium-lierre, ce bégonia, ce fuchsia, ce dahlia tuyauté, modèle 1850, ont péniblement poussé leurs premières feuilles dans la cuisine, peut-être dans la grande salle, où les « cavaliers » viennent « voir la blonde, » et aujourd’hui, ils s’épanouissent sur l’appui de la fenêtre. Les fermes en ont aussi, de ces belles potées, et, quand nous entrons chez M. Joseph Nicole, la première couleur vive que j’aperçois, c’est un géranium-lierre, en espalier, qui fait son petit vitrail, vert et rose, devant une fenêtre. À la demande du père, une jeune fille d’une trentaine d’années, vive d’esprit et « bien disante, » va chercher le registre sur lequel sont notées l’histoire et la généalogie de la famille. Je copie ces premières lignes, concernant l’ancêtre, le premier de la race : « Voyageur, originaire de France, arrivé en Canada, acheta de Basile Fournier et de Françoise Robin, son épouse, un certain terrain au Sud de la rivière du Sud, provenance de la seigneurie de Saint-Luc, qui fut cédée, par le roi régnant Louis XIV, à M. de Montmagny, premier seigneur, le 5 mai 1646. »

Le souci, l’orgueil même de la tradition sont évidens. Mais le goût d’un progrès sage ne me parait pas manquer à l’habitant canadien. Je crois que le laboureur de vieille race demande à la nouveauté d’avoir fait ses preuves, mais sa défiance pre-