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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/934

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celui du « Clair de lune » ou celui des strophes d’Ossian dans Werther, le moment arrive toujours où le sentiment s’accroît et monte à son comble. Que fait alors le musicien ? Il reprend, mais renforcée et grossie, la mélodie primitive ; jusqu’au paroxysme il la pousse et l’exaspère. Mais un tel effort est trop rude pour elle. Incapable de donner ce qu’on exige d’elle, en vain la forme délicate s’enfle et se travaille. Elle n’avait d’expression et de vérité que dans la douceur. La violence la perd, et, loin de la transfigurer, la dénature et la parodie. Modèle, il y a peu d’instans, de distinction et de finesse, elle ne l’est plus maintenant que d’emphase et de brutalité.

Je me souviens qu’autrefois une mère, ayant mené sa fille entendre Hérodiade, à moins que ce ne fût Esclarmonde, lui disait de temps en temps : « N’écoute pas, mon enfant, n’écoute pas, c’est trop voluptueux. » Mais à côté du troublant Massenet, il en existe un autre (il y en a tant !) et celui-là de tout repos, le Massenet des familles, des demoiselles, voire des enfans. Rappelez-vous la mélodie qui porte le nom de ces derniers et défend de leur causer « nulle peine, même légère. » Du même ordre, du même goût, sont aussi les Coccinelles et vingt autres gentillesses. Loin de viser à la grandeur, Massenet alors se complaît dans la mièvrerie et la mignardise. Il met en musique, en musique tantôt de romance, et tantôt d’oraison, les insectes et les roses, les anges et les bébés, les petits ruisseaux et les petits oiseaux, les petites sœurs et les petites cousines, la Sophie de Werther et l’Irène de Sapho. La mélodie de Massenet se prête diversement à toutes ces petitesses : ici ralentie et languissante, ailleurs sautillante et mutine. Il peut même arriver qu’une seule phrase, — j’en pourrais citer une, d’Ariane, — rapproche les deux extrêmes et les oppose : l’affectation et la simplicité, le sentiment, fût-ce la passion, et la sensiblerie, la manière et le style, enfin ce que Massenet eut de meilleur, et ce qu’il eut de moins bon.


S’il n’a pas été un grand musicien d’amour, ou plutôt le musicien des grandes amours, et par conséquent des grandes tristesses, sa musique a su nous conter quelques-uns des secrets de la mélancolie. Au côté sensuel de son œuvre il est permis d’en préférer la partie élégiaque : les plaintes de Grisélidis et surtout les strophes (« Pleurez, pleurez mes yeux ! ») de Chimène. Les célèbres adieux de Manon à la petite table sont touchans, bien qu’un peu minces. Ils ne pouvaient, ils ne devaient pas ressembler à ceux d’une Alceste, ou d’une Didon, (os impressa toro). Une héroïne différente les prononce et ne les adresse