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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/935

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pas au même témoin d’amour. Mais d’autres déplorations expriment de plus nobles douleurs : dans Werther, le prélude morne, désolé, glacial de la « Nuit de Noël ; » dans les Erinnyes, « la Troyenne regrettant sa patrie, » (un délicieux bas-relief sonore), et la libation d’Electre, et le pathétique entr’acte d’Orestès, Émouvante encore est l’entrée d’Alim, le roi de Lahore assassiné, dans le Paradis d’Indra. Quel est, demande le dieu,


Quel est celui qui vient ? Son front pâle s’incline,
Comme si, dédaignant la volupté divine,
Il regrettait ici les misères d’en bas.


Il les regrette, en effet, et la mélodie instrumentale qui le précède et l’annonce, est triste, lourde de son regret plus fort que la mort, de ce regret qu’Homère prête à l’ombre d’Achille, de ce regret qui fait que, dans l’Enfer et dans le Purgatoire, les âmes s’approchent de Dante et le prient, quand il sera retourné sur la terre, de les rappeler aux vivans qu’elles y ont aimés. Elle est belle, cette mélodie, un peu la sœur de celle qui porte le nom du sombre Oreste. Et la phrase vocale qui l’achève semble naître d’elle, comme d’une tige sonore, pour la couronner, comme une fleur.

Mérimée déclarait, après un poète grec, qu’il y a deux bons momens dans la vie d’une femme : l’heure de l’amour (le grec use d’une expression plus vive) et l’heure de la mort. Assurément le musicien de Manon, de Thaïs, a toujours préféré la première. A la seconde pourtant il a donné de la poésie, de la mélancolie et de la douceur. Même il a su nous émouvoir, d’une émotion quelque peu féminine encore, sur le trépas masculin d’un Werther ou d’un Don Quichotte. Comme les mélodies de Massenet, ses personnages meurent en général avec grâce.

Vivans, il a réussi parfois à faire autour d’eux les choses mêmes vivantes. Il a dessiné d’un trait pur le pays de Marie-Magdeleine ; il a peint de brillantes couleurs sa maison, préparée et fleurie pour recevoir le Seigneur. Devant la Troyenne assise et pleurant, on croit voir s’étendre l’horizon de l’hémistiche virgilien : Pontum adspectabant fientes. Au début du second acte de Thaïs, rien qu’à ce nom, à cet appel : Alexandrie ! on dirait que l’orchestre se déroule et déferle comme, sur une plage d’Orient, les flots de la mer étincelante. Nous avons noté précédemment le brio joyeux et sinistre du quatrième acte de Manon (l’hôtel de Transylvanie). Écoutez, au théâtre, le premier acte de Werther ; au concert, les Scènes alsaciennes, un petit chef-d’œuvre