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délice de la littérature. Il y a, dans cette abnégation, de la fierté, de la grandeur ; et je ne suis pas l’ami de ces ornemens empruntés par lesquels on aguiche un lecteur frivole. M. Paul Margueritte appartient à sa pensée et, tout le reste, il le dédaigne. C’est bien. Pourtant, je ne cesserai pas de rappeler à nos plus dignes écrivains que l’objet de l’art est, premièrement, de nous divertir et de nous enchanter.

Si ce n’est qu’un aéroplane traverse les dernières pages, son roman, M. Paul Margueritte l’aurait écrit, sans déconcerter ses contemporains, il y a vingt ans.

« Le contremaître Gribal, dit Sang-de-Bœuf, traversait l’atelier. — M’sieu Florent, coula-t-il à mi-voix… »

Ne relisons-nous pas un ancien roman réaliste ?…

Le style est celui de l’école : celui d’Emile Zola, mais décent, et beaucoup moins robuste et, par endroits, fantasque sous l’influence des Goncourt. Un style extrêmement descriptif et qui, pendant qu’il y est, décrit sans nulle opportunité. Un style qui ne veut pas employer les mots les plus simples et, d’un garçon qui a le front haut, dit que son visage « offrait un front démesuré de rêveur. » Offrait, sans doute, est là pour faire image : ce front, le visage a l’air de l’offrir aux passans. Mais il offre aussi des lèvres fines et « un menton court. » Et alors, l’image était en pure perte.

Le style de l’école, dans le pittoresque ?… « Le voisin de Florent, un noiraud velu, se fessait le dos de la main : présage symbolique de la scène familiale. Florent le toisa de si près que l’autre plongeait, sournois. »

Le style de l’école, dans la mollesse et l’abandon ?… « Autoritaire et tendu, il était faible au fond et dissimulait, les passions qui le dévoraient. .. » Trait d’énergie, d’ailleurs. « Il les maintenait (ses passions) dans les grandes lignes qu’exige le respect de soi et, malgré son âpreté positive, plein de noblesse et d’honneur, au sens usuel de ces mots. »

Le style de l’école, dans la négligence ?… « A quoi servirait-il que Henri recouvrît un jour sa liberté ? »

Il est difficile de résumer ce roman, qui ne dut pas être commode à composer. Les personnages sont fort nombreux ; et ils ont, deux à deux, leurs aventures : deux à deux, pour le moins. Il y a le père Fabrecé, « membre de l’Institut et du Sénat, » grand industriel, maître d’une « entreprise colossale » et père de huit enfans : ne parlons pas d’un neuvième, mort avant que nous ne fussions présentés à la famille Fabrecé. Il y a Mme Fabrecé : il y a sa mère. Mme Siglet du Salt. Huit