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qu’il y a au moins de très grandes difficultés à adapter le caractère, la mentalité des Turcs, pris dans leur masse, à la vie d’un État civilisé à la mode occidentale. Il ne suffit pas de décréter la liberté, il faut encore en avoir les mœurs.

Après la guerre de Crimée, où la Turquie fut victorieuse par l’épée de la France et de l’Angleterre, on constatait que les lois du Tanzimat n’avaient reçu aucune application. À l’instigation des puissances, le Sultan proclamait le hatti-humayoun du 18 février 1856. Ce nouveau firman, qui n’était « que la confirmation et le développement de l’acte de Gul-Hané qui a solennellement décrété le régime de l’égalité et ouvert l’ère de la réforme dans l’Empire Ottoman, » resta, comme lui, lettre morte. Il était cependant enregistré et contresigné par les grandes puissances ; elles disaient, dans l’article 9 du traité de Paris :

« S. M. I. le Sultan, dans sa constante sollicitude pour le bien-être de ses sujets, ayant octroyé un firman qui, en améliorant leur sort sans distinction de religion ni de race, consacre ses généreuses intentions envers les populations chrétiennes de son Empire, et voulant donner un nouveau témoignage de ses sentimens à cet égard, a résolu de communiquer aux puissances contractantes ledit firman spontanément émané de sa volonté souveraine. Les puissances contractantes constatent la haute valeur de cette communication. Il est bien entendu qu’elle ne saurait, en aucun cas, donner le droit aux dites puissances de s’immiscer, soit collectivement, soit séparément, dans les rapports de S. M. le Sultan avec ses sujets, ni dans l’administration intérieure de son Empire. »

L’esprit du Congrès de Paris apparaît ici en pleine lumière. L’Europe, par crainte de la Russie et d’un nouveau traité d’Unkiar-Skelessi, fait confiance au Sultan, s’en remet à lui et se lie les mains à elle-même : c’est, dans son expression la plus complète, la politique de non-intervention. Le résultat est que, dès 1860, Gortschakoff demande aux puissances de s’entendre pour procéder à une enquête sur le sort des chrétiens de Turquie. En 1867, une « consultation de médecins, » provoquée par Beust, amène entre les Cabinets européens un significatif échange de vues. Le mémoire français émet l’avis qu’il faudrait demander « l’admission sérieuse des chrétiens aux fonctions de l’État. » Le mémoire russe déclare : « Il n’est que trop vrai, comme le fait observer le mémorandum français, que les chrétiens sont