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accomplie par les Turcs ou d’une réforme réalisée par les étrangers sans aboutir à une autonomie de fait. Cette histoire est monotone : rien qu’en réunissant les textes qui concernent directement les réformes, M. Schopoff a rempli un gros volume. On peut juger par là des impatiences et des déceptions des peuples toujours leurrés, toujours frustrés !

Dès 1673, dans les Capitulations obtenues par la France et, plus tard, dans celles qui furent concédées à l’Autriche et à la Russie, la Porte accordait des garanties en faveur des chrétiens de l’Empire. C’est l’origine de la « politique des réformes ; » elle est un compromis entre le sentiment de la solidarité chrétienne, qui date des croisades, et la politique de l’équilibre, qui implique le maintien et l’intégrité de l’Empire Ottoman. Sous l’influence des idées « libérales » répandues en Europe et sur les conseils de l’Angleterre, l’Empire Ottoman, au temps d’Abd-ul-Medjid, parut entrer de lui-même dans la voie des réformes radicales. Les lois du Tanzimat, annoncées et expliquées par le hatti-chérif de Gul-Hané (3 novembre 1839), si elles avaient été appliquées, ou, si l’on veut, applicables, auraient reconstitué l’Empire Ottoman sur le principe des Etats occidentaux, avec, à la base, l’égalité devant la loi et les charges publiques. Mais elles se heurtaient aux assises mêmes de l’Empire Ottoman ; fondé sur la domination militaire d’une race et d’une religion, il ne pouvait s’accommoder, sans se détruire lui-même, des principes qui régissent les Etats européens. Souvent ces tentatives d’européanisation ne furent qu’un trompe-l’œil, destiné à donner satisfaction aux instances des puissances européennes ou à paraître exécuter les stipulations formelles d’un traité : telle fut, par exemple, la proclamation de la constitution de 1870 par Abd-ul-Hamid. Mais, même lorsque les réformes ont été décrétées avec un désir sincère de les appliquer, elles se sont heurtées à la résistance passive des traditions et des mœurs qui sont restées victorieuses, si bien que ces tentatives n’ont abouti qu’à énerver les forces de l’Empire Ottoman et à précipiter sa décadence. Un Etat ne saurait se réformer en contradiction absolue avec les principes qui l’ont fait naître et qui le font vivre. Théoriquement, il n’y a rien dans la loi religieuse musulmane. — comme on s’est appliqué à le démontrer textes en main à l’occasion de la révolution de 1908, — qui soit incompatible avec le développement d’un Etat moderne ; mais, pratiquement, une longue expérience a prouvé