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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/344

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souffrances de la période de 1903 à 1908, une politique de fraternité habilement menée aurait pu donner la paix et la prospérité à la Turquie d’Europe. Les Jeunes-Turcs, définitivement maîtres du pouvoir après les événemens d’avril 1909, adoptent une politique toute contraire : ils s’appliquent à éliminer les chrétiens des fonctions publiques au moment où ils les incorporent dans l’armée : ils procèdent au désarmement de la population et, à cette occasion, la soldatesque déchaînée se livre à des abus et à des atrocités pires qu’au temps d’Abd-ul-Hamid. Nous avons raconté ici les incidens tragiques de Yenidje-Vardar. Meurtres, tortures, viols signalent l’opération du désarmement. Bulgares, Serbes et Grecs qui, aux premiers jours du nouveau régime, apportaient spontanément leurs armes, se mettent de nouveau à les cacher ; les bons fusils, malgré les perquisitions et les bastonnades, échappent à toutes les recherches ; ils sortent aujourd’hui de leurs cachettes. Bientôt de petites bandes se montrent dans la montagne et des attentats contre les chemins de fer signalent la reprise de l’activité insurrectionnelle. L’établissement de colons musulmans dans les régions de la Macédoine les plus fertiles et où les chrétiens sont les plus nombreux, met le comble à l’exaspération des populations slaves. Ces mohadjirs, émigrés pour la plupart de Bosnie, apportent le trouble et le désordre dans les pays où les fonctionnaires turcs les implantent et où souvent les anciens propriétaires sont lésés à leur profit. Le docteur Nazim bey et les membres du comité de Salonique ne cachent pas que leur but, en installant des colons musulmans, est de modifier au profil de l’Islam les proportions de la population ; ils ne répondent aux plaintes des chrétiens qu’en affirmant leur volonté d’appliquer dans l’avenir, avec plus d’ampleur encore, la même méthode. Les procédés jacobins et centralisateurs des Jeunes-Turcs, leur violence et leur maladresse, provoquent les insurrections d’Albanie dont le contre-coup direct achève de troubler la Macédoine. Dès lors les chrétiens des trois vilayets prennent des résolutions’ suprêmes. L’excès de leur désespoir a pour premier effet de reléguer au second plan leurs discordes intestines et de réconcilier Bulgares, Grecs, Serbes, Valaques, dans une haine commune contre le Turc oppresseur. Durant toute la période de 1902 à 1908, les bandes bulgares, serbes, grecques, se massacraient plus souvent entre elles qu’elles n’attaquaient les Turcs ; leurs