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vieilles rivalités, renouvelées et attisées par l’imprudent article 3 du programme de Mürzsteg qui prévoyait une prochaine délimitation des nationalités, étaient soigneusement entretenues par les Turcs qui en profitaient habilement. Dans les pays où la majorité des habitans chrétiens était grecque ou serbe, ils se gardaient d’inquiéter les bandes bulgares, et inversement. A partir de 1910, la réconciliation des deux nationalités les plus actives et les plus animées l’une contre l’autre, les Bulgares et les Grecs, est un fait accompli. De Macédoine elle se propage jusqu’à Constantinople où elle rapproche le patriarcat et l’exarchat, jusqu’à Athènes et Sofia où elle fait l’union des deux gouvernemens.

En même temps que la maladresse des Turcs accomplissait ce chef-d’œuvre de réconcilier deux races dont les rivalités et les rancunes paraissaient irréductibles, la brutalité de leurs soldats leur aliénait les Albanais. La présence, dans les épaisses montagnes qui couvrent le pays entre le Vardar et l’Adriatique, d’un peuple musulman autochtone, les Arnaoutes, était une grande force pour l’Empire Ottoman en décadence ; on peut dire que ce son ! les Albanais musulmans qui, installés de toute antiquité dans leurs montagnes, maintenaient les Turcs en Europe ; depuis longtemps ils fournissaient aux Sultans des gardes, des soldats, des fonctionnaires, des ministres, des grands vizirs ; en récompense de leur fidélité au Sultan et à l’Islam, ils jouissaient du droit de porter des armes, et ils en abusaient pour opprimer et détruire les Serbes en Vieille-Serbie et les Grecs en Epire. Ce droit, les Jeunes-Turcs prétendirent le leur enlever et les obliger à subir le désarmement. Aussitôt l’Albanie s’insurge ; les soldats de Torghout Chefket pacha, chargés de soumettre les rebelles, commettent de tels excès qu’ils laissent derrière eux des haines inexpiables que la campagne de 1911 ne fait qu’accroître et envenimer. Ces violences réconcilient les Albanais du Nord avec leurs ennemis héréditaires les Monténégrins et les Serbes. Dans la crise actuelle, les Arnaoutes ne se lèvent pas comme un seul homme pour défendre l’Empire Ottoman, ainsi qu’ils l’eussent fait au temps d’Abd-ul-Hamid. Les cinq tribus Malissores font cause commune avec les soldats du roi Nicolas, tandis que les Mir-dites restent neutres et que les Doukhagin paraissent attendre la chute de Scutari pour se joindre aux Monténégrins. Le chef de