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artiste ne se consolait pas de son abandon et pleurait toujours Fabien avec les mêmes larmes passionnées. La visite de Marcelle était sa seule joie. Elle s’épanchait près de la jeune fille, racontait ses souvenirs d’amour, et cela se terminait toujours par la même phrase :

— Méfie-toi des hommes, ma pauvre chérie !

— Oh ! moi, disait Marcelle, je me contenterai de mon art.

Un soir du mois de juin, comme elle était sortie après le dîner pour acheter un tube de couleur rue Bonaparte, et qu’elle s’éternisait à la devanture des magasins, elle sentit quelqu’un près d’elle. Durant une minute, sa fierté et sa pureté prenant toujours au tragique ces grotesques aventures de la rue, elle s’abstint de regarder qui était là. Puis, quand elle leva machinalement la tête, son regard croisa celui de Nicolas Houchemagne qui, souriant, l’observait depuis un moment.

C’était l’heure où les auvens glissaient, d’un bout à l’autre de la rue, le long des glaces, aux devantures. La chaussée déserte n’était plus troublée que par le fracas périodique des autobus. II faisait tiède, un peu orageux, la nuit ne semblait pas tout à fait venue, et la boutique où ils s’attardaient restait seule ouverte, avec ses fouillis de chefs-d’œuvre à la vitrine illuminée. Nicolas demanda :

— Voyons, qu’est-ce que vous admiriez ? Où va votre goût dans tout ceci ? Je voudrais savoir…

Une seconde fois les yeux verts, avides et peureux, se levèrent sur l’artiste et s’abaissèrent en silence.

— Mais oui, vous m’intéressez, petite cousine, reprit Nicolas. Je me doute que vous pensez beaucoup plus que vous ne le dites.

— Oh ! oui !…

Marcelle avait dit ces deux mots douloureusement, passionnément, comme un cri de détresse, les yeux une troisième fois plongés dans ceux de Nicolas ; puis, tout de suite, comme si un sceau s’était brisé et que son cœur débordât enfin :

— Je suis une aveugle qui cherche, qui cherche seule ; personne ne s’occupe de moi ; mon patron n’est qu’un maître de dessin. J’aurais besoin d’une lumière. Vos théories m’attirent et me repoussent en même temps. Mais sans cesse elles me hantent. Nicolas, je voudrais être votre élève. Oui, il me semble qu’auprès de vous je serais en confiance, que j’accepterais les yeux fermés toutes vos idées, que je me laisserais conduire.