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dans le Conseil, des auxiliaires fidèles et sûrs. Louis XVI lui rend justice et l’encourage hautement par des témoignages de confiance. A la séance du Comité tenue le 3 février 1781, le directeur s’étant plaint de quelques attaques dirigées contre lui par des diffamateurs obscurs, le Roi, dit-on, lui réplique en ces termes : « Monsieur Necker, je suis charmé d’apprendre que vous avez des ennemis et que vous êtes jalousé ; vous le seriez moins, si vous aviez moins de mérite. Au surplus, tous les propos qu’on tient sur votre compte, loin d’affaiblir mes sentimens pour vous, ne font que redoubler mon estime et mon amitié. » Malgré certains précédens trop connus, bien faits pour inspirer des doutes sur la solidité de ceux auxquels Louis XVI donnait de pareilles assurances, le public voulait voir dans ces propos flatteurs un gage de force et de durée. Jamais ministre, disait-on, n’avait été « si fortement ancré » dans la faveur du Roi[1].

D’ailleurs, des faits confirmaient ces paroles. Comme les lois toujours en vigueur rendaient bien difficile l’entrée d’un protestant dans le « Conseil d’Etat, » Louis XVI, vers cette époque, nommait un « Comité secret, » qu’il présidait lui-même et qui, trois fois par semaine, délibérait sur les plus importantes affaires. Necker en était membre, ainsi que Maurepas et Vergennes, et la fréquence des réunions le décidait, contre son habitude, à quitter l’hôtel du contrôle général, à Paris, pour s’installer quelque temps à Versailles.

A cet appui du Roi s’ajoutait le solide soutien de l’opinion publique. La popularité du directeur général des finances allait croissant sans cesse, gagnait toutes les classes du royaume, s’étendait dans tous les milieux, des grands seigneurs les plus fameux aux plus humbles bourgeois, et des philosophes aux évêques. Elle rayonnait aussi hors des frontières de France. Sur un bruit ridicule qui avait un moment couru, — Necker, assurait-on, avait « fait scandale » à Versailles, en se montrant « en bottes fortes » au château, — la Grande Catherine mandait à Grimm : « Pauvres gens ! Les gens non bottés ne peuvent souffrir ceux qui sont trop fermes sur leurs pieds, trop constamment d’aplomb, trop forts et trop pleins de raison ! » Marie-Thérèse et Joseph II, écrivant à Mercy, parlent d’un ton

  1. Journal de Hardy. — Journal de l’abbé de Véri. — Lettres de Kagenerk.