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aux soucis de sa carrière. Elle faisait l’étonnement de Pierre Fontœuvre lorsqu’elle expliquait son plan : trouver, son stage une fois fait, un emploi dans une grande pharmacie parisienne, et y continuer ses études tout en gagnant sa vie, ce qui serait un tour de force, étant donné la fréquence des cours, mais ne l’effrayait pas. Puis bientôt elle quittait la causerie familiale pour aller retrouver Brigitte. Elle tenait de Mme Trousseline une foule de vieilles recettes culinaires, des secrets de province pour conserver les fruits, fabriquer des liqueurs, et confectionner mille bonnes choses. Quand la blanchisseuse rapporta le linge, elle entreprit de le visiter.

Le premier jour, les deux sœurs s’observèrent en silence, curieuses l’une de l’autre et se tenant pourtant sur la réserve comme deux femmes qui s’ignorent mutuellement. Mais dès le lendemain, Hélène, qui pressentait en Marcelle une jeune fille totalement différente d’elle-même et comme un monde nouveau où il lui tardait de pénétrer, commença de se livrer personnellement pour obtenir des confidences. Elle parla de Saintes, des histoires de la ville, puis de sa propre enfance, et même du goût qu’elle avait eu, à seize ans, pour un jeune docteur dont elle avait attendu vainement une demande en mariage. Mais Marcelle, qui n’était à la maison qu’un corps sans âme, toujours absente, ne pensant qu’à Nicolas, l’écoutait indifférente, répondait par des mots distraits, plus impénétrable et taciturne que jamais.

— Voudrais-tu te marier ? lui demanda Hélène ingénument.

— Moi, répondit Marcelle avec un frémissement de tout son être, je ne me marierai jamais.

Ce jour-là, Houchemagne venait diner chez les Fontœuvre. il arriva très ému. Un télégramme lui avait appris la mort de M. de Cléden. Les Fontœuvre connaissaient peu cet oncle très casanier, qu’on ne voyait qu’à de rares intervalles ; mais ils aimaient tendrement la charmante Jeanne et s’affligeaient de son deuil. Jenny insinua même :

— Comme elle doit souffrir, seule, là-bas !…

Et Houchemagne, qui, resté sous le prétexte de son travail, n’avait pas, depuis le départ de sa femme, touché une brosse, , n’osa pas se disculper. Il répondit seulement :

— Oui, elle doit souffrir…