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Tous les yeux de femme se mouilleront devant ton tableau. Oh ! je la vois, moi, telle qu’elle sera dans deux, dans trois mois peut-être, quand tu auras vaincu cette crise.

Et en parlant, elle posait ses lèvres sur le front de son mari. Il respirait comme le parfum de leur vie conjugale. Il se sentait repris par les liens de l’habitude. Ne serait-il pas bon de s’endormir ce soir, en oubliant tout, sur cette épaule maternelle, sur ce cœur ami dont il pouvait tout attendre, dont il vivait depuis tant d’années. Oh ! dormir enfin, dormir comme un enfant entre les bras de Jeanne !…

Puis un éclair l’illumina : le souvenir, l’être même de Marcelle l’avait traversé comme un éclat de foudre. N’allait-il pas maintenant consentir à ces habitudes ignominieuses, les trahir toutes deux, à tour de rôle, tromper tantôt Marcelle et tantôt sa femme ?

Jeanne allait souffrir ; mais qu’y faire ? Elle en mourrait peut-être, mais il fallait briser leurs liens. Sa douleur serait une conséquence de l’adultère. Toute faute se paye ; elle serait la première victime : c’était ainsi. Parce qu’il était tombé, parce qu’il avait péché, le cœur de sa femme innocente, ce cœur qui avait été son aliment et son refuge, serait broyé. C’était la loi. En péchant il avait implicitement consenti toutes les souffrances qui devaient découler de sa faute. Il n’avait donc plus qu’à frapper Jeanne. Quant à lui, il se refusait à déchoir davantage.

Elle le reprit, l’attira, le serra contre elle, et sa noble tendresse s’exprimait royalement dans toutes ses attitudes d’amante. Mais lui, brusquement, se défendit, se détourna d’elle.

— Nicolas, tu ne m’aimes plus !

Elle l’avait crié sans grand étonnement, sans grande terreur, sans presque le penser. Alors lui résolument, implacablement, comme il l’aurait tuée, lui jeta en plein cœur :

— Non !

Colette Yver.

(La quatrième partie au prochain numéro.)