On ne nie donc point, chez ceux qu’on pourrait appeler les impérialistes modérés, la possibilité d’une action commune. Seulement, tandis que les impérialistes avancés rêvent d’une fédération, où il pourra arriver que l’un des Dominions se voie imposer par la majorité des résolutions qu’il désapprouve, où son autonomie sera ainsi nécessairement atteinte, les modérés rejettent absolument une pareille hypothèse. Ils n’admettent que des décisions prises à l’unanimité, ou, si cette unanimité fait défaut, ils veulent que ceux-là seuls soient liés qui auront donné leur consentement. La différence de principe entre les deux conceptions est, en somme, très simple. Selon la première, l’organe essentiel de l’Empire est un Parlement fédéral, où la minorité doit s’incliner devant la majorité. Selon la seconde, il n’y a point de Parlement, mais simplement des conférences entre les représentans de chaque colonie, conférences que l’on pourra multiplier autant que l’on voudra, auxquelles on pourra déférer tous les sujets que l’on jugera utiles, mais qui seront en quelque sorte des conférences diplomatiques, chaque Etat n’étant lié que par les résolutions qu’il aura lui-même acceptées, sans pouvoir jamais être lié par la volonté des autres, fût-il seul contre tous.
À cette méthode, qui semble plus conforme à la tradition britannique, les impérialistes purs font une objection capitale, c’est qu’elle ne peut conduire qu’à de bien faibles résultats et que, si elle a pu être bonne au début, les temps sont mûrs pour la remplacer par la leur. Ils ajoutent que ceux qui la soutiennent ne le font point seulement par prudence, mais surtout par scepticisme, qu’au fond ils ne croient pas à l’avenir de l’Empire, et que ce consentement unanime qu’ils exigent, ils ne souhaitent même pas de l’obtenir, au moins pour aucune œuvre importante. Ces reproches contiennent une part de vérité et une part d’injustice. En Angleterre, comme partout, la plupart des radicaux extrêmes se confinent dans les affaires intérieures, où ils rêvent de profonds changemens, et se soucient peu de celles du dehors, qu’ils considèrent plutôt comme un embarras. Ceux-là sont les sceptiques, les vrais Little Englanders. Mais beaucoup d’autres reconnaissent aujourd’hui l’importance du problème impérial et c’est très sincèrement, par prudence autant que par attachement de principe aux libertés locales, qu’ils ne veulent point trop hâter le pas.