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marine canadienne que sir Wilfrid Laurier a consenti à créer, et que les Canadiens anglais jugeaient insuffisante. Ardent, énergique, éloquent, M. Henri Bourassa s’est institué le porte-parole et le chef des mécontens ; tout en défendant les droits légitimes de sa race et de sa foi, il prétend d’ailleurs faire, non pas du nationalisme canadien-français, mais du nationalisme canadien tout court. Il se déclare dévoué au maintien de l’allégeance britannique, sauvegarde de la nationalité franco-canadienne, mais n’entend pas resserrer les liens avec la métropole ni se mettre sous sa tutelle. Ni annexion aux Etats-Unis, ni vasselage impérialiste, voilà son mot d’ordre. Le Canada ne doit pas plus être une annexe économique de ses voisins méridionaux qu’un soutien militaire et naval de la métropole. Il doit fare da se, il doit être lui-même, Canadien et non pas Anglais ou Américain. Ce programme, on compte le développer plus tard dans les provinces anglaises. Il ne l’a été encore que dans la province de Québec, ce qui a suffi pour donner au jeune parti un grand rôle dans les élections, et par les sièges qu’il a enlevés aux libéraux et par le désarroi qu’il a jeté dans leurs rangs. Mais, en dépit de la coalition avouée des partisans de M. Borden et de M. Bourassa, on ne saurait mettre au compte de l’impérialisme britannique les succès du nationalisme canadien, qui en est tout l’opposé.

Il est une question plus grave encore. Malgré la différence des deux doctrines, certains conservateurs canadiens ne sont-ils pas plus près du nationalisme que de l’impérialisme pur ? Par la force des choses, par le jeu naturel des partis, ils ont été amenés, en opposition avec les libéraux suspects d’inclinations américaines, à se poser plus ou moins en champions d’une union plus étroite avec la mère patrie. Mais ce sont des opinions de fraîche date, au point de vue économique du moins, et naguère les libéraux pouvaient se prétendre plus impérialistes que les conservateurs. Quand M. Laurier, le premier de tous les gouvernans coloniaux, a, dès son arrivée au pouvoir, accordé des détaxes douanières aux produits de la métropole, ces concessions étaient très loin d’être agréables aux conservateurs, ultra-protectionnistes, inféodés aux industriels qui bénéficiaient des hauts tarifs. Cet état d’esprit a si peu disparu que des journaux canadiens ont pu se demander si les privilèges douaniers de la métropole n’étaient pas menacés du fait des