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Heureusement, quelqu’un, qui connaissait les Français et leurs inquiétudes, vint à point pour rassurer les Confédérés. C’était un Orsini, le comte de Pitigliano, que Charles VIII avait pris à Nola et qui le suivait, prisonnier sur parole. Il venait de fausser compagnie à ses vainqueurs, de rejoindre, à toute bride, ses compatriotes, en criant son nom « Pitigliano ! Pitigliano !  » pour qu’on le reconnût et il les suppliait de ne pas se croire battus, mais de faire tête. Grâce à lui, Gonzague raffermit son monde, arrêta la retraite qui commençait. Pendant ce temps, au contraire, les Italiens qui servaient dans l’armée de Charles VIII, Trivulce, le Florentin Secco, Camille Vitelli, devinant la panique des Confédérés, suppliaient le Roi de passer le Taro et de transformer son succès en une victoire complète. En sorte que chacun des deux partis était poussé à l’action par ceux qui connaissaient l’autre. Mais, s’il est vrai qu’en guerre le plus brave est celui qui a le moins peur, personne ne fut le plus brave ce soir-là. D’aucun des deux côtés, on ne se résolut à rien. Le Roi alla coucher en une ferme entre Felegara et Medesano. Gonzague passa toute la nuit presque en face, à GiaroIa. Son armée était bien réduite : il avait perdu trois mille hommes environ, dont trois cents hommes d’armes, entre autres soixante gentilshommes mantouans, et, parmi eux, son propre oncle Rodolfo Gonzague, la « Colonne de l’armée,  » Giovanni Maria Gonzague et Guidone Gonzague. C’était la plus sanglante bataille qu’on eût vue, en Italie, depuis deux cents ans. Et les fuyards étaient bien plus nombreux encore. Toutefois, il resta debout toute la nuit, rétablissant ses effectifs, maintenant ses positions, montrant le sang-froid, la ténacité d’un véritable chef. De l’autre côté du Taro, brillaient les lumières et résonnaient les tambourins : les Français veillaient et n’avaient pas désarmé…

Le lendemain se passa en conciliabules. Ce fut un grand soulagement au camp italien, quand on vit venir, passant le gué, un trompette qui apportait un sauf-conduit du Roi aux chefs confédérés, s’ils voulaient aller reprendre, de vive voix, les négociations. Bientôt parurent, au-dessus des hautes herbes, de l’autre côté du torrent, les têtes d’un petit groupe de seigneurs français, d’où se détacha enfin, après bien des allées et des venues du trompette, le sieur d’Argenton, Philippe de Commynes. Gonzague, Caiazzo et les deux provéditeurs le reçurent sur