Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tente du marquis, on vit sortir de leurs mains un butin merveilleux : deux drapeaux, plusieurs pavillons avec leurs tapisseries, le morion et l’épée de parade de Charles VIII, son paroissien avec une prière en français qu’on disait de Charlemagne, les sceaux royaux tout en or, puis les reliques les plus précieuses du Roi, son autel portatif, un morceau de la vraie croix, une épine de la couronne de Jésus-Christ, un morceau du manteau de la Vierge, un os de saint Denis, à quoi il avait grande dévotion et qui était sur l’autel quand on disait la messe ; enfin, avec toutes ces choses sacrées, une très profane à laquelle il ne tenait pas moins : le cahier des portraits des courtisanes qui lui avaient plu, dans les diverses villes d’Italie : retracti di damiselle del re. Ce cahier fut, avec quatre tapisseries et un tronçon de lance brisée, la part du marquis dans tout ce butin. C’étaient des dépouilles à la fois artistiques et royales : elles faisaient honneur à son goût et à son épée. Au point de vue populaire, les Italiens étaient donc bien les vainqueurs.

Il y a ensuite le point de vue chevaleresque ou « jouteur.  » Pour les chevaliers, la guerre était moins une opération manœuvrière qu’un tournoi, compliqué, à la vérité, de prises et de rançons. Or, dans un tournoi, celui qui s’en allait, quittait la lice, après une rencontre sans vouloir s’exposer à une autre, passait plutôt pour battu. C’était le cas des Français. Le jour du combat, ils s’étaient montrés admirables, mais le lendemain avait été moins brillant et le surlendemain ne l’avait plus été du tout. « Et puis nous tournions le dox aux ennemys et prenions le chemin de sauveté, qui est chose bien espouventable pour un ost,  » avoue Commynes. Ils avaient levé le camp, subrepticement, la nuit, après avoir entendu la messe, et leur défilé hâtif, « par chemyn bossu et boys,  » pour nôtre pas une déroute, ressemblait plus à une retraite qu’à une marche en avant. Ils laissaient entre les mains des Confédérés non seulement leurs reliques et leurs trésors, pour 200 000 ducats, dit-on, mais aussi un de leurs meilleurs chevaliers, le Bâtard de Bourbon. Dans son désir d’être libre, celui-ci offrait une rançon de 10 000 scudi, dont il portait avec lui 4 000, cachés dans sa selle. En un mot, ils cédaient la place. Les Italiens étaient donc fondés à se croire en possession d’une certaine victoire.

Enfin, à défaut de toute autre, ils en avaient remporté une sur eux-mêmes. Ils avaient un instant oublié leurs querelles :