faits prisonniers par notre troupe, entre autres le comte de Pigliano et M. le bâtard de Bourbon. Les ennemis sont partis ce matin et ont gagné les collines dans la direction de Borgo San Domino et de Plaisance. Nous allons surveiller leur marche et voir ce que nous allons faire. Si tout le monde avait combattu comme nous, la victoire aurait été plus complète et pas un Français n’aurait échappé. Adieu. »
Cette lettre n’est ni d’un vainqueur, ni d’un sot. Quand il l’écrivit, le marquis Gonzague doutait encore qu’il eût remporté une grande victoire. II ne l’apprit que par les lettres, les félicitations enthousiastes qu’il reçut de Venise, de Mantoue, de Rome, de toute l’Italie et par les honneurs qui lui furent décernés. D’aussi puissans seigneurs que le Doge lui assurant qu’il avait délivré l’Italie et lui donnant, avec le titre de capitaine général des armées de la République, un supplément de 2 000 ducats par an avec une pension de 1 000 ducats pour Isabelle d’Este, les meilleurs poètes du temps le comparant à Annibal et à Scipion, il finit par se ranger à l’opinion générale. Il commanda donc à Sperandio la médaille fameuse qui le représente, tourné de profil gauche, avec un petit bonnet et une cuirasse et au revers, à cheval, tel qu’il était à Fornovo, au milieu de ses hommes d’armes tourné vers un écuyer avec l’inscription : OB RESTITUTAM ITALIE LIBERTATEM ; et à Talpa, la médaille où est figuré Curtius se jetant dans le gouffre, avec l’inscription : UNIVERSE : ITALL E LIBERATORI. Il se confessait vainqueur.
Tout dépend, il est vrai, de la définition qu’on donne du mot « victoire. » Au point de vue tactique, une armée est victorieuse quand elle a rempli le but qu’elle s’était proposé. Or le but, ici, des Français était de passer en Lombardie, ils y ont passé : la victoire tactique leur appartient donc, et c’est avec raison que l’histoire en a ainsi décidé. Mais il y a d’autres point de vue que le point de vue tactique, et j’en aperçois trois, pour ma part, selon lesquels on pourrait donner la victoire à l’Italie. D’abord, il ne faut pas oublier qu’au XVe siècle, pour les bandes mercenaires dont se composent les armées, le but suprême de la guerre est le pillage. La véritable victoire est la victoire où l’on pille. Or, à Fornovo, c’est le camp français et non pas le camp italien qui a été pillé. Les stradiots se sont rendus maîtres des trésors du Roi. Quand on parvint à les faire dégorger dans la