venir de Venise, pour suspendre à la voûte de feuillages, un immense chapelet de ces grosses perles fausses qu’on appelait jocalia de cristallo. On a même dévalisé les tombeaux : le tabouret où sont posés les pieds de la Vierge, est emprunté au tombeau de Marsuppino par Desiderio da Settignano, à Florence. Les îles les plus lointaines ont fourni, pour percher dans le feuillage, un ara et un cacatoès. On a fait venir, de Prato, le jardinier d’Isabelle d’Este, l’homme d’Italie le plus expert à tailler le buis, pour ordonner cette arcature végétale, comme il a ordonné aussi les arcades végétales du jardin où la Vertu chasse les Vices, qui est d’un côté de la Vierge et peut-être l’arcade rocailleuse du Parnasse, qui est de l’autre. Il l’a chargée des plus énormes spécimens de l’horticulture intensive et les enfans eux-mêmes qui couraient dans les rues de Mantoue devaient comprendre les félicités de ce paradis juteux, pulpeux, savoureux, gastronomique.
Nous tondions, ici, à l’un des caractères les plus définis des Primitifs et qui en font le plus grand charme. Mantegna n’était plus un primitif, mais c’était encore un préraphaélite ou un « pré renaissant. » Il avait, déjà, la science consommée du dessin et ses raccourcis en font foi ; mais il conservait, des Primitifs, le goût de réunir, sans aucune raison et pour la seule joie des yeux, tous les genres de beauté, tous les objets pittoresques qu’il savait reproduire. Et, comme les Primitifs aussi, il en savait reproduire beaucoup. C’est plus tard que le peintre s’est spécialisé. Au moment où Mantegna peignait, le même artiste réunissait, en lui, tous les genres. Il y a, dans ce tableau, un anatomiste : toutes les figures : Gonzague, la main droite de la Vierge, les deux enfans, la Beata Osanna sont des triomphes du raccourci, ce saut périlleux des peintres. Il y a, là, un décorateur : on le voit dans l’ordonnance de ce berceau, de ce trône, de ces cuirasses d’anges ; et il y a un peintre de nature morte, habile à veiner le marbre, à gonfler les fruits, à faire reluire dans l’ombre les armures, à allumer les globules du cristal, à tisser les étoffes, à les casser, à les chiffonner, à y faire ricocher la lumière. Il y a un couturier expert à composer des modes inédites pour les anges : voyez son saint Michel qu’il habille d’une cuirasse en haut, d’une robe en bas, selon l’étrange compromis inventé de nos jours pour les princesses allemandes, colonelles honoraires de quelque régiment. Il y