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Avouons-le : on connaît fort peu en France cette république sud-américaine, qu’un universitaire de l’Europe centrale, revenu mécontent, dénonça comme « le dernier coin du monde ; » certain versificateur de café-concert ne soupçonnait pas que les Chiliens sont très différens des Peaux-Rouges et des nègres, lorsqu’en une strophe, dont la géographie vaut la délicatesse, il écrivit pour la rime, à la fin d’une ligne, le mot Chili. Nous pourrions nous excuser auprès de nos amis de là-bas en leur rappelant, par un choix d’anecdotes, que nombre d’Anglais, de Nord-Américains et d’Allemands ne sont pas beaucoup mieux renseignés que nous-mêmes ; c’était un diplomate, mais pas Français, qui demandait dernièrement à un notable Chilien : « Votre langue nationale est bien l’anglais, n’est-ce pas ? » Il est grand temps que cette ignorance cesse ; dans cette Amérique latine, dont la croissance étonnera les prochaines générations, le Chili a ses caractères particuliers, extrêmement attrayans pour les Français ; depuis l’ouverture, en avril 1910, du chemin de fer transandin, ses capitales sont à deux jours de Buenos-Aires, à trois semaines de Paris ; Vienne était aussi loin de Versailles à l’époque de Louis XIV.

Pour bien sentir l’originalité du Chili dans le monde sud-américain, c’est par l’intérieur qu’il y faut arriver, par le chemin de fer des Andes ; sur ce parcours, le voyageur traverse d’abord l’Argentine, où partout l’enfièvre une sorte de vertige de « valorisation ; » dans Buenos-Aires, cité géante de 1 300 000 habitans, dont le bouillonnement rappelle celui de New-York, devant les saladeros immenses, qui évoquent des souvenirs de Chicago, dans la pampa indéfinie où les villes poussent comme des fouilles le long de branches vives qui sont les chemins de fer, l’impression de tous les instans est celle d’une trépidation d’express ; un peu ahuri, l’étranger se laisse emporter dans ce tourbillon qui le domine et qui le grise ; dès qu’il réfléchit, il mesure à tous les pas la puissance de l’effort humain, puis il constate que la fortune argentine, sur des horizons de plaine larges comme ceux de la mer, n’est qu’esquissée encore. A Mendoza, mille kilomètres à l’Ouest de Buenos-Aires, le passager du transandin touche aux grandes montagnes, au Chili couché sur le versant du Pacifique ; le paysage se ride, des profils de glaciers s’estompent à l’arrière-plan ; dans l’air léger, par sept cents mètres d’altitude, les