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? de dessin, et même la sécheresse florentine. Ecoutons comme ils le méritent les Castelar et les Jaurès ; mais relisons, après la séance, Guichardin et Machiavel.

Le discours de M. Jaurès fit plus qu’épuiser le débat, il le déborda de beaucoup. On entendit encore M. Jules Delafosse, qui est un des hommes de la Chambre à qui ces questions sont le plus familières, de même qu’on avait entendu le rapporteur, M. Maurice-Long, et M. Louis Dubois, qui présenta dans un très bon langage de très utiles observations, Mais déjà l’on courait aux urnes. On vit alors l’ordinaire procession des députés à la conscience rongée de scrupules qui tiennent à « expliquer leur vote ; » et tous les votes, — les trois positions possibles : pour, contre, ou abstention, — fuient tour à tour expliqués, par des motifs parfois contradictoires. Il arriva que, s’étant donné à eux-mêmes les plus fortes raisons de voter contre, certains conclurent à l’abstention ; quelques-uns déclarèrent, malgré tout, voter pour ; ce qui n’arriva pas, c’est que quelqu’un, depuis M. Millerand, prît la peine de donner de fortes raisons de voter pour ; cette opinion se justifiant sans doute d’elle-même, et paraissant à la plupart la seule issue d’une situation qui n’en avait plus d’autre. Finalement, la convention fut ratifiée par 393 voix contre 36. Il n’y eut pas moins de 141 abstentions, qui furent en réalité des votes hostiles restés à mi-chemin. Autrement dit, l’accord franco-allemand ne recueillit l’approbation résignée que des deux tiers de la Chambre des députés.

Parmi les abstentionnistes figurent les « députés républicains » des trois départemens de l’Est, Meuse, Meurthe-et-Moselle, et Vosges. Leur déclaration émue souleva dans tous les cœurs une émotion correspondante. Mais nul ne fut plus touché que le jeune et brillant ministre des Colonies, lui-même député de la frontière lorraine, M. Albert Lebrun. Songeant que sa signature était, moralement, au bas de cet acte qui cède à l’Allemagne une portion lointaine et africaine, mais quand même une portion du territoire français, dont sa charge lui donnait la garde, il ne put retenir ses larmes. L’histoire, dont on a beaucoup parlé dans toute cette affaire, l’histoire qui mesure et qui pèse les responsabilités, ne fera probablement pas porter sur lui les plus grandes ni les plus lourdes. Elle se rappellera que, dans le Conseil et à la tribune, il a trouvé, pour dire sa peine et nos regrets, des accens parfaitement dignes.


De son côté, le Sénat a nommé une Commission de vingt-sept