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considérait comme une « reine infaillible. » Cette extrême déférence, cette espèce de superstition, lui ont été amèrement reprochées, et il est vrai que prendre l’opinion pour règle, c’est se donner un guide fugitif, mobile et trompeur. Remarquons cependant qu’en cette fin du XVIIIe siècle, l’opinion, dirigée par des hommes supérieurs, formée dans des milieux où dominaient le savoir et l’esprit, contrainte par la force des choses à surmonter force barrières, à lutter contre cent obstacles, — ordonnances de police, arrêts du Parlement, mandemens épiscopaux ; — l’opinion, dis-je, pour ces raisons diverses, était plus éclairée, plus contrôlée, et par conséquent plus puissante qu’à aucune époque de l’histoire. Si, malgré tout cela, lui obéir aveuglément fut, comme il paraît, une faiblesse, jamais faiblesse, du moins, ne fut plus excusable.


Les idées de Necker, ses tendances et ses conceptions portaient la triple empreinte de son lieu d’origine, de son éducation et de sa profession première. Né citoyen d’une libre république, il concevait mal le pouvoir absolu. Habitué dès l’enfance à la plus stricte économie, il avait le goût et l’instinct de l’ordre et de la régularité. Enfin, pendant vingt-cinq ans de sa vie a donné aux affaires de banque, il connaissait les questions de finance ; mais c’étaient, en réalité, les seules qu’il connût bien. En matière d’administration, il avait beaucoup à apprendre ; et c’est pourquoi, au début de son ministère, nous le verrons se confiner, avec une sage prudence, dans les réformes financières, pourquoi aussi, même quand il sera, par la suite, mieux au fait des rouages compliqués de l’administration française, il n’abordera les réformes d’ordre politique et social qu’avec une grande circonspection, tâtonnant avant de marcher, cherchant toujours plutôt à améliorer qu’à détruire, à corriger les abus de détail qu’à bouleverser l’ensemble du système.

Il faut encore noter une autre circonstance dont l’influence sur son esprit ne saurait être contestée. Quelques années avant de prendre le pouvoir, il avait fait en Angleterre un assez long séjour, il avait observé et étudié sur place la constitution britannique : de cette étude il avait rapporté une vive admiration pour le régime parlementaire et représentatif et la conviction arrêtée de la nécessité du contrôle national, pour enrayer le