Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/346

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

casque et l’aigrette ? Enfin, le sombre entonnoir de Delphes, dominé par les cimes blanches du Parnasse, ce « nombril de la terre, » ne semble-t-il pas le lieu prédestiné au trépied de la Pythonisse, qui frémit aux voix de l’abîme et aux souffles du ciel ? Voilà sans doute des cadres merveilleux, mais le berceau, si beau soit-il, ne fait pas encore l’enfant.

Les peuples divers, qui se sont rencontrés, croisés et fondus avec les vieux Pélasges dans l’Hellade, Thraces, Etoliens, Achéens, Lydiens, Eoliens, suffisent-ils pour résoudre, avec la beauté du sol, l’énigme de la religion et de la poésie grecques ? A leur tête, j’aperçois les deux types qui synthétisent les qualités de toute la race, les Ioniens et les Doriens. Les Ioniens, venus d’Asie, sont ceux que les Indous appelaient les Yavanas, c’est-à-dire ceux qui adorent Iona, la faculté féminine de la divinité et les puissances réceptives de la nature féconde. Ces peuples préféraient donc aux Dieux mâles les déesses, Cybèle la Terre-mère, la voluptueuse Astarté et la changeante Hécate. Ils représentent le côté féminin de l’âme grecque, la grâce, l’esprit délié, la versatilité avec une certaine mollesse, mais aussi la passion, le génie orgiastique et l’enthousiasme. Ces Ioniens se trouvèrent face à face, dans l’Hellade, avec les Doriens, race guerrière et rude, venue du Nord, des froides plaines de la Scythie, à travers les monts chevelus de la Thrace. C’étaient des barbares ; leurs corps vigoureux avaient trempé dans les eaux glacées du Strymon, mais ils portaient dans leur cœur intrépide et dans leurs cheveux roux les rayons de cet Apollon hyperboréen, dont on conservait le souvenir à Délos comme à Delphes. Ils incarnent l’élément mâle du génie grec. Leurs Dieux sont ceux du ciel, Vulcain, Zeus, Apollon ; le feu, la foudre et la lumière. Leurs héros s’appellent Héraklès, le tueur de monstres, et les Dioscures, Castor et Pollux, dompteurs de chevaux.

La lutte entre les Ioniens et les. Doriens, qui s’exacerbe dans la rivalité d’Athènes et de Sparte et dans la désastreuse guerre du Péloponnèse, fait le fond même de l’histoire grecque et remplit toute sa durée de ses fastes sanglans. Mais suffit-elle pour expliquer la religion et la poésie de la Grèce ? D’où vient que celles-ci apparaissent dès l’abord comme un édifice harmonieux que la fantaisie et les licences des poètes n’ont point ébranlé ? D’où vient l’unité du panthéon grec et sa splendide hiérarchie, rythmée comme le pas des Muses et comme le vol