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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/347

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d’Iris entre le ciel et la terre ? Notez que cette hiérarchie se montre identique, dès le début, chez l’Ionien Homère et chez le Dorien Hésiode. De quelle autorité émane le tribunal des Amphictyons, siégeant à Delphes, qui donne une sanction à l’unité nationale au-dessus des dissensions intestines ? Qui enfin a donné, dès les temps préhistoriques, la suprématie au mâle génie des Doriens sur la puissance passionnelle et orgiastique des Ioniens, sans la déflorer et l’écraser, mais en préparant au contraire son plus bel épanouissement par une culture savante ?

Les poètes grecs racontent que Jupiter, énamouré de la belle Europe, se changea en un superbe taureau et l’enleva sur son des pour la transporter des molles rives de l’Asie dans l’île sauvage de la Crète à travers les flots azurés. Image suggestive des émigrations ioniennes et des innombrables enlèvemens de femmes de ces temps rudes et joyeux. Mais, pour suivre le mythe en son délicieux symbolisme, par quel charme Jupiter, ayant revêtu, dans une caverne du mont Ida, sa forme humaine à travers laquelle fulgurait le Dieu, par quel éclair de ses prunelles, par quelles caresses de feu métamorphosa-t-il la vierge naïve en la femme puissante, qui devait déployer tour à tour la séduction d’Aphrodite, l’impétuosité de Pallas et la gravité de Melpomène ? Cette Grèce-là ne nous retient pas seulement par son sourire, elle nous enchaîne et nous délie par la flamme profonde de son regard. D’où lui viennent cette force et cette magie ? Voilà l’énigme, voilà le problème.

Le sol et la race suffiraient à la rigueur pour nous expliquer la Grèce légère, spirituelle, rieuse et fine, que Taine et Renan nous peignent si bien, mais où l’on ne sent ni la passion de l’Ionie, ni la grandeur dorienne[1]. Elle est charmante cette Grèce de marins et de bergers, de pirates aimables et de délicats artistes. Elle joue supérieurement avec la vie, les idées et les Dieux. Elle les savoure en s’en moquant un peu. Elle nous fait comprendre Théocrite, Aristophane, l’Anthologie et Lucien, les rhéteurs, les sophistes, la démagogie d’Athènes et la politique féroce de Sparte. Mais, à côté de cette Grèce profane et enjouée, il y en a une autre plus sérieuse et plus émue. C’est celle d’Homère et d’Hésiode, de Pindare et des grands lyriques, de Phidias et de Praxitèle, d’Eschyle et de Sophocle, d’Empédocle,

  1. Voyez l’étude de Renan sur les Religions de l’antiquité dans ses Essais d’Histoire religieuse et la Philosophie de l’art en Grèce, par Taine.